Sur la parabole des talents, homélie le dimanche 23 septembre 2012



Mt 25, 14-30: Le Seigneur dit cette parabole : Il en va du Royaume des cieux comme d’un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens. A l’un il remit cinq talents, à un autre deux, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités ; puis, il partit. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla les faire valoir et en gagna cinq autres. De même celui des deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l’argent de son maître. Longtemps après, arrive le maître de ces serviteurs, et il règle ses comptes avec eux. Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et en présenta cinq autres, en disant : Maître, tu m’avais confié cinq talents ; voici cinq autres talents que j’ai gagnés. Son maître lui dit : C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton maître. Celui des deux talents s’avança à son tour et dit : « Maître, tu m’avais confié deux talents, voici deux autres talents que j’ai gagnés ». Son maître lui dit : « C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai ; viens dans la joie de ton maître ». S’avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit : « Maître, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu ; par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre : le voici, tu as ton bien. » Mais son maître lui répondit : « Mauvais serviteur, timoré ! Tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé et que je ramasse où je n’ai rien répandu. Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers : à mon retour, j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt. Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car à tout homme qui a, l’on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents. »

*

Deux conclusions au moins peuvent être tirées de la parabole que nous venons d’entendre : premièrement, la grâce de Dieu nous est donnée non pas pour que nous la préservions intacte et fixe, mais pour que nous la fassions grandir, que nous nous l’approprions pour la faire fructifier. Deuxièmement, ce caractère dynamique du talent divin signifie que le salut de l’homme est autant le résultat de la grâce de Dieu que le fruit de ses propres efforts et de son ingéniosité.

La grâce que nous recevons de Dieu fait de nous des associés de l’œuvre du Créateur de l’univers. Ce talent divin donne un sens à notre existence. S’il n’y avait pas en nous cette part de la force créatrice qui est à l’origine du monde, nous serions en droit de nous demander pourquoi nous sommes là. Si nous ne recevions pas ce talent du Créateur, il me semble que la vie n’aurait aucun sens. Elle serait stérile, scandaleusement éphémère et, surtout, inutile. La vie n’a de l’intérêt que dans la mesure où elle nous associe à la force créatrice qui est à l’origine de nous-mêmes et de tout ce qui nous entoure. La vie humaine, raisonnable, n’a de la valeur que si l’homme participe à l’action de Dieu, s’il a, en lui, une part de la plénitude divine. C’est ainsi que je comprends le talent ou la grâce dont il est question dans l’évangile de ce dimanche.

Et puisqu’il est participation à l’œuvre créatrice de Dieu, ce talent n’a de sens que s’il porte du fruit. L’homme reçoit la grâce divine pour devenir créateur à son tour. Le talent de Dieu est comme la vie, il possède un immense potentiel qui n’attend que d’être exploité par l’homme. L’apôtre Paul nous exhorte aujourd’hui, lui aussi, à « ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu » (2 Co 6, 1). Si l’homme n’en fait aucun usage et l’enfouit inerte au profond de lui-même, ce potentiel se transforme en cancer, il ronge l’homme l’intérieur et le vide progressivement de son sens. C’est ainsi que celui qui n’a pas perdra même ce qu’il avait potentiellement. En revanche, pour peu que nous fassions usage de la parcelle divine qui est en nous, nous découvrons alors en nous une force en surabondance qui peut faire bouger des montagnes, qui peut surtout nous rendre libres des liens du péché et nous préparer pour le Royaume éternel de Dieu. Mais sachez, chers amis, qu’investir le talent de Dieu et le faire fructifier comporte des risques. Dès que vous commencerez à utiliser la grâce reçue de Dieu, attendez-vous à des critiques : on vous reprochera de ne pas faire ce qu’il faut, de ne pas faire comme il faut, d’en faire un peu trop… Seul celui qui enfouit son talent et n’en fait aucun usage n’est exposé à aucune critique. Mais mieux vaut être jugé ici par des hommes que décevoir le Dieu Créateur.

En Orient et en Occident on a souvent soulevé la question de savoir ce qui finalement sauve l’homme : la grâce de Dieu ou les efforts de l’homme lui-même. La parabole que nous venons d’entendre montre que le salut de l’homme est bien le résultat de la grâce reçue du Créateur, mais multipliée et fructifiée par l’homme. La grâce seule ne peut nous transfigurer, mais elle nous conduit au salut si elle trouve en nous l’intelligence spirituelle et la coopération à la volonté du Créateur qui la multiplient. Le salut de l’homme est donc l’effet de la synergie entre le Créateur et la créature. Il est la conséquence d’une véritable complicité entre le Dieu qui donne gratuitement et l’homme qui multiplie ce qu’il a reçu.

Mais le talent de Dieu a encore une autre propriété paradoxale. Dans ses Entretiens avec Motovilov, saint Séraphin de Sarov, une des plus belles figures de sainteté au XIXe siècle en Russie, disait : « Tandis que la richesse terrestre diminue, lorsqu’on la distribue, la richesse céleste de la grâce divine augmente au contraire lorsqu’on la répand ». Les intérêts que nous percevons en réalisant un bon placement des talents reçus de Dieu augmentent proportionnellement à la générosité avec laquelle nous partageons les dons divins avec ceux qui nous entourent. Ainsi, chers amis, servez-vous joyeusement de la grâce qui nous est donnée par la Trinité toute sainte, faites-la grandir avec audace et sans aucune crainte et n’hésitez surtout pas à la partager avec vos familles et vos amis : plus on répand autour de soi la richesse de la grâce divine, plus elle augmente et nous rapproche du Royaume du Père.
Sur la parabole des talents, homélie le dimanche 23 septembre 2012

Dimanche 23 Septembre 2012
Alexandre Siniakov