Sur Lazare et l'homme riche. Homélie pour le dimanche 2 novembre 2014



Lc 16, 19-31 : Le Seigneur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche qui s’habillait de pourpre et de linge fin et qui faisait chaque jour de brillants festins. Un pauvre du nom de Lazare gisait couvert d’ulcères au porche de sa demeure. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses ulcères. Or le pauvre mourut et fut emporté par les anges au côté d’Abraham ; le riche mourut aussi et fut enterré. Au séjour des morts, comme il était à la torture, il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare à ses côtés. Alors il s’écria : “Abraham, mon père, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre le supplice dans ces flammes.” Abraham lui dit : “Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu ton bonheur durant ta vie, comme Lazare le malheur ; et maintenant il trouve ici la consolation, et toi la souffrance. De plus, entre vous et nous, il a été disposé un grand abîme pour que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne le puissent pas et que, de là non plus, on ne traverse pas vers nous.” Le riche dit : “Je te prie alors, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j’ai cinq frères. Qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture.” Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent.” L’autre reprit : “Non, Abraham, mon père, mais si quelqu’un vient à eux de chez les morts, ils se convertiront.” Abraham lui dit : “S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus.”

*

Frères et sœurs bien-aimés, la magnifique parabole sur Lazare et l’homme riche qui annonce la fin des souffrances des pauvres et leur consolation certaine, contient trois détails intrigants. D’abord, le nom du pauvre : Lazare ; puis, la présence d’Abraham ; enfin, l’affirmation de l’existence d’un abîme entre ceux qui jouissent de la béatitude éternelle et ceux qui sont dans les tourments. À mon avis, chacun de ces trois détails renvoie à une dimension différente de la parabole. Je vais les reprendre un par un.

D’abord, le nom de Lazare. Il signifie en hébreu « Dieu aide ». Ce nom résume bien le sens moral de la parabole. Le pauvre a besoin de l’aide de Dieu ; il n’a rien hormis sa foi en Dieu et sa conviction que le Seigneur viendra à son secours ; il s’appelle donc Lazare, « Dieu aide ». Le riche n’a pas de nom, ou son nom n’a pas d’importance, parce qu’il est riche, il a tout ce qu’il faut, il se suffit à lui-même. Ce n’est pas la peine de le nommer ; il faut seulement savoir qu’il est riche. Sa personnalité se résume à sa fortune. Son orgueilleuse solitude s’accentue après sa mort, mais elle devient plus pénible. Obnubilé par sa richesse, il a oublié de demander pardon à Dieu ou n’a pas voulu le faire, car, s’il l’avait fait, il ne se serait certainement pas trouvé dans de tels tourments.

Deuxième point : la présence d’Abraham. Elle soulève une autre dimension de la parabole, historique. Le malheureux Lazare qui se retrouve auprès d’Abraham fait penser aux premiers chrétiens, issus du peuple d’Israël, mais rejetés et méprisés par leurs compatriotes riches de leur attachement au culte du Temple et à l’observation littérale de la Loi. La dernière phrase de cette parabole : “S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus”, sonne comme un désillusion de Jésus face au refus de la majorité de ses frères et sœurs du peuple d’Israël de croire à sa résurrection, source de vie et d’espérance pour l’ensemble du peuple de Dieu, mais aussi pour l’humanité tout entière.

Enfin, le troisième point, le plus énigmatique, est d’ordre eschatologique : c’est la mention de l’abîme entre le riche tourmenté et Lazare exalté. Manifestement, il ne s’agit pas d’un abîme visible, autrement le riche l’aurait remarqué lui-même. Ce n’est pas un abîme spatial. Il n’est pas perceptible. C’est plutôt une frontière identique à celle qui sépare la lumière des ténèbres. Lieu des ténèbres, c’est ainsi que le Seigneur Jésus appelle cet état. Le Catéchisme de l’Église orthodoxe russe, rédigé par saint Philarète de Moscou, souligne précisément cet aspect de l’enfer : « L’hadès signifie l’endroit privé de lumière. Dans l’enseignement chrétien on appelle ainsi le séjour ténébreux de l’esprit, c’est-à-dire l’état des âmes qui sont privées de la contemplation de la face de Dieu, de sa lumière et de la béatitude de ceux qui Lui sont unis » (I.212).

Pour être dans la lumière, il faut être léger, il faut être pauvre. Pas pauvre dans le sens seulement matériel, mais aussi spirituel. Cette dernière pauvreté est le renoncement à soi, la liberté par rapport aux biens terrestres, mais en même temps la conscience d’avoir besoin des autres : de Dieu d’abord, mais aussi de ses saints, des autres êtres humains qui, comme Abraham, nous accueilleront dans le Royaume intemporel du Père.
Sur Lazare et l'homme riche. Homélie pour le dimanche 2 novembre 2014

Dimanche 2 Novembre 2014
Alexandre Siniakov