Jésus-Christ n’est pas une créature mythique mais un homme véritable. L’évangile n’est pas un récit légendaire, mais une chronique attachée à un temps et à un lieu particuliers. La semaine sainte n’est pas une allégorie, mais un drame aussi irréversible que l’Histoire humaine dont elle est inséparable.

Le dimanche des Rameaux nous met en présence des véritables protagonistes de ce drame dont le terme, impensable, inimaginable, incompréhensible, est la mise à mort de Dieu.

Il y a Lazare, qui n’est pas un ressuscité fantomatique mais un homme de chair et de sang, un homme vivant ici et maintenant. Ici à Béthanie où il habite. Maintenant lors d’un repas donné en l’honneur de Jésus et dont il est l’un des convives. Ce repas authentifie la résurrection de celui qui était mort corporellement et qui est corporellement vivant. Il atteste également la plénitude de l’humanité de Jésus-Christ, qui mange en bonne compagnie parce que son corps en a besoin, et que son âme en est comblée.

Il y a Marthe, qui fait le service, et devance en cela les paroles que Jésus s’apprête à prononcer : si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.

Il y a Marie qui prend une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur, avant de le verser sur les pieds de Jésus, et de l’essuyer avec ses cheveux. Elle annonce le lavement de pied par Jésus de ses disciples, comme son embaumement par les femmes myrrhophores.

Il y a la maison remplie de l’odeur du parfum qui préfigure le tombeau vide – ce tombeau que célèbre le prêtre à chaque fois qu’il découvre les saints dons en disant: "Ton tombeau vivifiant, source de notre résurrection, nous est apparu ô Christ plus resplendissant que le paradis, et plus éclatant en vérité qu’aucune demeure royale".

Il y a Juda qui sent et condamne déjà la renonciation de Jésus à faire advenir ici et maintenant la justice sur la terre. Il est au nombre des douze appelés par le Seigneur qui s’est remis symboliquement entre ses mains en lui confiant la bourse. Son reproche manifeste son scandale face à la messianité non agissante de Jésus. Il annonce sa trahison.

Il y a les grands prêtres qui décident de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en vont et croient en Jésus. Leur décision de tuer Lazare rend plus fort et plus manifeste leur désir de tuer, en Jésus-Christ, le Dieu vivant qu’ils ont déjà symboliquement mis à mort en le figeant, en le réifiant, en l’objectivant comme loi.

Il y a la grande foule des juifs qui viennent voir un mort rendu à la vie, quelques jours avant de demander la mort de Celui qui est la vie ; qui bénissent le roi d’Israël quelques jours avant de confesser à Pilate « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur » ; qui crient « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » quelques jours avant de s’exclamer « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! ».

Il y a les disciples qui ne comprennent pas sur le moment, mais dont l’esprit enregistre et dont le cœur pressent les signes les plus authentiques de la messianité de Jésus. Leur incompréhension annonce l’endormissement à Gethsémani, le coup d’épée de Pierre au serviteur du grand prêtre, son reniement, le désespoir face à la croix et l’impuissance à croire à la résurrection annoncée par les femmes myrrhophores.

Il y a le petit âne, au travers duquel le règne animal, mais à travers lui aussi l’ensemble de la création, c’est-à-dire le cosmos, confessent et reconnaissent la messianité de Jésus-Christ. Il annonce le cheval blanc que dévoile, dans l’Apocalypse, le ciel ouvert, et que monte le Fils dans sa gloire. Mais par son enfance et son humilité il annonce aussi l’Agneau qui se tient, toujours dans l’Apocalypse, sur la montagne de Sion.

Tout est en place pour le drame historique et cosmique de la mort de Jésus-Christ, qui est à la fois la mort d’un homme et la mort de Dieu.

Comme Jean a été un précurseur dans l’ordre de l’incarnation, Lazare est un précurseur dans l’ordre de la résurrection, Marthe dans l’ordre du service et Marie dans l’ordre de la vénération.

Où Judas condamne, il annonce qu’il trahira. Où les disciples ne comprennent pas, ils annoncent qu’ils abandonneront. Où le peuple honore, il annonce qu’il condamnera. Où les grands prêtres décident de tuer, ils annoncent qu’ils seront commanditaires et complices. Où l’âne supporte, la Création annonce qu’elle endurera.

Où nos vies sont acquises au Christ, elles acceptent sa mort et elles annoncent sa résurrection.

C’est que nous ne sommes pas spectateurs, mais acteurs de ce drame où chaque parole, chaque pensée, chaque silence compte.

La semaine sainte débute, et il est temps de rendre nos libertés participantes du grand drame de la mort de Dieu et de notre salut.