Homélie sur la parabole du Jugement dernier



Il faut commencer par noter qu’au jour du jugement, il n’y a qu’un seul troupeau au sein duquel toutes les nations sont assemblées. Il ne revient donc à aucun homme, en aucun lieu de la création et en aucun moment de l’Histoire, de séparer les bons d’avec les méchants. Aucun d’entre nous n’est fondé à prononcer le jugement au terme duquel certains iront à la vie éternelle et d’autres au châtiment éternel. Ce jugement incombe à celui que Jésus présente à la fois comme Fils d’homme, comme berger et comme roi, c’est à dire à lui-même, selon qu’il est écrit, dans l’évangile de Jean, que "le Père (…) lui a donné pouvoir d’exercer le jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme".

Au dernier jour, il n’y a qu’un seul berger, et c’est le Fils de l’homme. Il n’y a qu’un seul troupeau, et c’est le rassemblement des nations. Il n’y qu’un seul jugement, et c’est celui de la justice qui sous-pèse en chacun non pas le péché mais l’amour. Que cette vérité s’enracine dans nos cœurs et qu’elle nous immunise contre la passion du jugement, de l’étiquetage et de la classification.

Nous pourrons alors entrer dans la compréhension de la parabole, qui nous livre un secret extraordinaire.

Ce secret le voici : nous ne serons pas condamnés pour le mal que nous avons commis, mais pour le bien que nous avons omis.

Il est donc illusoire de chercher à échapper à la malédiction de la loi en ne faisant rien de mal, dès lors que cela nous conduit, comme c’est très souvent le cas, à ne faire rien de bien.

Qu’importe, au jour du jugement, tel ou tel péché que nous avons commis, telle ou telle inclinaison mauvaise que nous avons suivie, telle ou telle passion par laquelle nous nous sommes laissés gouverner.

Le seul critère qui compte, c’est le bien que nous avons fait, ou que nous avons omis de faire à l’affamé, à l’assoiffé, à l’étranger, au prisonnier, ou à l’homme dénué – parce qu’en chacun d’eux c’est Dieu Lui-même qui a invoqué notre amour, Dieu Lui-même que nous avons honoré, ou Dieu Lui-même que nous avons méprisé.

La justice de Dieu n’est pas dispendieuse. Comme l’écrit un père du désert, Épiphane, "Dieu vend à très bas prix la justice à ceux qui s’empressent de l’acheter : une bouchée de pain, un manteau de rien, un verre d’eau froide, une seule obole". Il donc parfaitement est illusoire d’amasser toutes sortes de richesses pour s’attacher le salut, puisque ce sont de simples actes de miséricorde qui réalisent et manifestent la justice, et la justice qui introduit à la vie éternelle.

Pour autant, nous aurions tort, parce que nous avons nourri l’affamé, abreuvé l’assoiffé, soigné le malade, visité le prisonnier ou revêtu l’homme dénué, nous aurions tort de nous placer nous-même du côté des brebis. Car si l’amour du prochain élit à la justice, c’est au Seigneur que revient le jugement, comme nous l’enseigne un autre père du désert, anonyme celui-ci :

Quelques visiteurs vinrent un jour en Thébaïde chez un ancien, amenant un possédé du démon pour qu’il le guérisse. Et l’ancien, après que l’on eut beaucoup insisté, dit au démon : « Sors de la créature de Dieu. » Et le démon dit à l’ancien : « je vais sortir, mais je vais te poser une question ; dis-moi : qui sont les boucs et qui sont les brebis ? » Et l’ancien dit : « Les boucs, c’est moi ; mais les brebis, Dieu les connaît » Entendant cela, le démon se mit à crier à forte voix : « A cause de ton humilité, je m’en vais. » Et il partit à l’heure même.

Les boucs c’est moi ; mais les brebis, Dieu les connaît. Voilà très exactement le juste état d’esprit, voilà très exactement l’état d’esprit du juste.

Ou pour le dire différemment, je suis un bouc, mais Dieu connaît en moi la brebis que Sa grâce révèle en me faisant passer de la dureté de cœur à l’amour, des prémisses du châtiment éternel aux arrhes de la vie éternelle.

Que le Seigneur nous permette d’acquérir Sa justice parfaite au simple prix de notre miséricorde imparfaite – qu’il nous entraîne à sa rencontre par la médiation des malheureux – et qu’il se laisse reconnaître et connaître comme l’abandonné, pour faire de chacun de nous une brebis perdue loin de ses certitudes – une brebis à laquelle le bon berger murmurera, en la prenant dans ses bras: "Viens, toi qui est bénie de mon Père ; prends possession du royaume qui t’a été préparé dès la fondation du monde".
Homélie sur la parabole du Jugement dernier

Dimanche 27 Février 2022