Homélie pour le Mardi Saint



Homélie pour le Mardi Saint
La longue lecture évangélique que nous avons entendue aux matines du Mardi Saint mérite une profonde réflexion. Nous y trouvons en effet trois nouveautés que le christianisme a apportées, trois idées révolutionnaires qui caractérisent l’Évangile du Christ. Dans le premier cas, le Seigneur établit une distinction, dans le deuxième cas, il souligne, au contraire, une similitude et, enfin, dans le troisième cas, il affirme un paradoxe.

D’abord, la célèbre phrase du Seigneur : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». L’évangéliste précise qu’en entendant ces mots les pharisiens et les scribes furent « tout surpris ». Il y avait de quoi rester bouche bée ! La distinction que le Christ établit entre le domaine de Dieu et celui de César est, en effet, inouïe. Jamais auparavant il n’était question de séparer la vie spirituelle de la vie sociale, de séparer la religion de la politique. Au contraire, que ce soit sous l’ancienne alliance, ou dans d’autres cultures antiques, la vie religieuse était toujours intimement liée à la vie publique. Aucune religion antique n’a prêché la séparation entre la religion et la cité. Ce n’est pas non plus le cas du judaïsme et de l’islam contemporains. La séparation entre le domaine divin et le domaine public est une nouveauté du Christ. C’est l’Évangile qui a proclamé la séparation entre l’Église et l’État, entre le Royaume de Dieu et le Royaume de César. Cette distinction est devenue la pierre angulaire de la culture chrétienne, notamment européenne. C’est sous ce régime de distinction que nous vivons aujourd’hui. Prenons garde à ne pas mettre en doute la volonté du Seigneur lui-même. Suivant son commandement, ne confondons pas entre ce que nous devons rendre à Dieu et ce que nous devons aux États dans lesquels nous vivons.

Le deuxième point que je voudrais relever, consiste non plus dans une différenciation, mais dans une similitude. Tout à l’heure, nous l’avons vu, le Seigneur distingue entre le domaine de Dieu et celui de César. Cette fois, en répondant à une autre question, il établit une similitude entre les deux principaux commandements de la Loi. L’amour de Dieu et l’amour du prochain ne sont pas deux choses distinctes, mais « semblables », selon l’expression du Christ. L’évangéliste Matthieu rapporte de façon claire, mais concise l’enseignement du Seigneur sur le lien entre l’amour de Dieu et l’amour de ses semblables. Ce sujet recevra un développement formidable chez un autre apôtre : saint Jean qui y consacre la majeure partie de ses épîtres. Toute la loi et les prophètes se rattachent à ces deux commandements, nous dit le Seigneur. Voilà une mise au point simple, mais combien nécessaire même aux chrétiens d’aujourd’hui. Tout ce que nous faisons dans cette vie doit être ordonné à ces deux commandements : chacune de nos actions et de nos entreprises doivent être motivées par le seul amour de Dieu et celui des hommes. C’est la seule façon de nous rendre conformes au Royaume de Dieu, le seul objectif de notre existence.

Enfin, le troisième point, tout aussi révolutionnaire. C’est l’enseignement du Christ sur la véritable grandeur de l’homme. Ce que le Seigneur dit au sujet de l’humilité qui doit régler les rapports entre ses disciples, est d’une importance extrême pour nous : « Le plus grand parmi vous, dit-il, sera votre serviteur. Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé ». Ce commandement du Christ est peut-être celui qui est le plus négligé parmi nous, même ici dans notre communauté. Qui d’entre nous prend au sérieux ces paroles du Christ ? Qui envisage vraiment la grandeur de l’homme comme un abaissement ? « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur », tel est le message du Christ lui-même. Il y a bien une hiérarchie chez les chrétiens, mais, contrairement à ce monde, cette hiérarchie est celle du service. Le plus grand pour les chrétiens est celui qui est le plus au service des autres. Avancer dans la hiérarchie chrétienne, c’est être toujours plus au service des autres. Dans le sens inverse, celui qui réclame pour lui une place particulière, qui pense qu’il est devenu trop important pour servir ses prochains, qui pense occuper des degrés où il a le droit de se consacrer moins à ses confrères, celui ne monte pas dans la hiérarchie chrétienne, mais descend au niveau des païens. S’il grandit, il grandit dans l’égoïsme et la vanité. Dans l’Église, plus notre ministère est grand, moins nous nous appartenons à nous-mêmes. C’est une règle fondamentale que le Christ nous enseigne surtout par son propre exemple. Ne dit-il pas à ses disciples qu’il est venu dans le monde pour servir et non pas pour être servi ? Oui, le Seigneur s’est fait homme pour mourir pour nous et non pas pour se faire une gloire humaine. Il est venu prêcher le Royaume de Dieu et non pas créer une école philosophique. Il est venu donner sa vie pour ses amis et non pas se faire une place dans le monde. Aucun de nous, chrétiens, n’a le droit de déroger à cette règle fondamentale.

Et vous, chers frères étudiants, vous devez accorder une attention particulière à ne pas vous retrouver du côté des pharisiens et des scribes que le Seigneur reprend aujourd’hui si sévèrement. N’oubliez pas que vous êtes disciples du Christ avant d’être disciples de la science. Que vous avez été baptisés au nom de Celui qui voulait servir et non pas être servi. Que le seul objectif de votre vie est de parvenir au Royaume de Dieu, d’atteindre la béatitude éternelle, ce qui exige le don de soi, le dépassement de son égoïsme et la Croix, à l’image de celle du Christ, mais combien moins douloureuse. Soyez les dignes disciples du Maître qui a lavé les pieds de ses compagnons et qui pour nous a été torturé et humilié.

Mardi 19 Avril 2011
Séminaire Russe