Chers amis, je vous l’ai sans doute déjà dit, mais je le redirai encore une fois en ce jour où nous célébrons la mémoire de saint Grégoire de Nazianze, archevêque de Constantinople, le Théologien de l’Église du Christ, qu’il est, en Orient chrétien, l’auteur le plus cité après la Bible, le plus lu et le plus connu après les prophètes et les apôtres du Seigneur.
Quelles sont les raisons de cette incroyable notoriété de saint Grégoire ? Pourquoi est-ce lui précisément qui a reçu, après Jean l’Évangéliste, le titre de Théologien (et ce depuis le concile de Chalcédoine) ? Pourquoi son œuvre fut-elle aussi aimée en Orient ? J’y vois trois explications (il y en a certainement d’autres encore).
La première, c’est la franchise de Grégoire qui, dans ses discours, dans ses lettres, dans ses poèmes autobiographiques, ne cherche pas à dissimuler à son lecteur ses véritables sentiments, dont la fatigue, la crainte, la maladie, la tristesse. Grégoire ne cache rien : il exprime aussi bien la fierté pour ses actes et sa foi que sa fragilité. Il dit ses joies et ses déceptions. Il se vante et il se fait des reproches. Il révèle ses amitiés et ses aversions. Il ne dissimule ni son amour ni son amertume. Et surtout, il partage avec nous l’émotion de sa prière et l’intimité de sa communion avec le Seigneur Jésus. Il est, sur cet aspect, tout à fait révolutionnaire par rapport à ses prédécesseurs et contemporains. Cette sincérité de Grégoire dans ses œuvres le rend extrêmement attachant : on ne le lit pas, on l’écoute. Il est présent dans chaque phrase de ses discours, dans chaque mot de sa poésie.
La deuxième raison de la notoriété de Grégoire de Nazianze, c’est le caractère équilibré de sa théologie. Il abhorre tout excès, dans quel que sens que ce soit. Il rejette tout extrémisme, comme l’opportunisme. Il voit l’orthodoxie doctrinale comme le milieu entre les extrémités hérétiques opposées, le milieu qui exclut tout compromis. En doctrine trinitaire, l’orthodoxe réside pour lui entre la division d’Arius, d’une part, et la confusion de Sabellius, d’autre part. En christologie, la saine foi consiste à éviter d’un côté la confusion d’Apollinaire (qui prive le Christ de l’intellect humain) et, d’un autre côté, la division du Seigneur en deux fils (le Fils de Dieu et le fils de l’homme). Enfin, Grégoire n’a de cesse de répéter que la foi n’est pas dans les syllabes et les mots, elle se révèle dans le rapport de l’homme avec Dieu. Il se moque des polémiques stériles autour des formules et appelle à scruter l’esprit, non la lettre de la foi.
Enfin, la troisième raison de la popularité de Grégoire, c’est son attachement à la paix de l’Église. C’est la recherche de la paix qui l’a poussé à démissionner de la chaire épiscopale de Constantinople, à fuir même le concile de 381, deuxième œcuménique, qui s’en est pris à lui, à son ministère, à sa façon de présider l’assemblée épiscopale, à la canonicité de son intronisation comme évêque de Byzance. Il n’a pas voulu se battre, il n’a pas cherché la revanche, il n’a pas voulu l’intervention de l’empereur. Il s’est retiré, avec amertume certes, mais sans hésitation, pour la paix.
En quittant Constantinople, las des intrigues des évêques et des luttes fratricides entre différents partis religieux, il écrivit un magnifique discours d’adieu. Je vous en citerai, en conclusion, un extrait, dans l’espoir que le vibrant appel de saint Grégoire à la paix dans l’Église fera parmi vous des émules inspirés :
« Comment pourrai-je supporter cette guerre sainte, puisqu’il faut parler de guerre sainte comme on parle de guerre barbaresque ? Comment relier et réunir ces gens qui dressent l’un contre l’autre leur siège et leur autorité pastorale, ainsi que ce peuple constitué autour d’eux en blocs opposés et qui ressemble à ce que deviennent dans les fractures causées par les séismes les parties qui étaient voisines et proches l’une de l’autre, ou encore aux serviteurs et aux domestiques dans le cas des maladies contagieuses quand le mal se communique avec facilité d’une personne à l’autre ? Mais ce n’est pas tout : il y a aussi les continents qui les ont rejoints dans leurs dissensions, de telle façon que l’Orient et l’Occident se sont séparés pour former des camps qui s’opposent, au point que cette coupure risque d’affecter les idées non moins que les points cardinaux. Jusqu’à quand y aura-t-il le mien et le tien, l’ancien et le nouveau, l’intellectuel et le spirituel, celui qui dispose les foules et celui qui n’a qu’une maigre clientèle ? Je rougis de ma vieillesse si, après avoir été sauvé par le Christ, je prends un autre nom que le sien. Je ne supporte plus vos courses de chevaux, vos criques et ces fureurs symétriques qui se dépensent en passions partisanes… Aujourd’hui nos sièges sont associés et nous avons les mêmes opinions, si ceux qui nous dirigent nous y portent : demain les sièges s’opposeront et les opinions aussi, si le vent vient à souffler en sens contraire. La haine et l’amitié dictent notre vocabulaire et, ce qui est le plus grave, nous n’avons pas honte de tenir devant le même auditoire des propos opposés… Je veux vous dire adieu, Orient et Occident, qui êtes à la fois motifs et auteurs de la guerre qui nous est faite : il en est le témoin, celui qui vous donnera la paix pour peu que quelques-uns imitent mon retrait. Ceux qui ont fait l’abandon de leur trône n’en perdront pas Dieu pour autant, mais ils obtiendront un siège là-haut, un siège bien plus élevé et plus sûr qu’aucun de ceux qui sont ici » (Or. 42, 21-22 et 27).
PRIÈRE POUR LA FÊTE DE SAINT GRÉGOIRE
Seigneur Christ qui par les paumes immaculées de ton serviteur Moïse jadis dressées en forme de croix sur la montagne fis fléchir d’Amalec la force funeste, qui par des mains dans la fosse tendues enchaînas aux pieds de Daniel les terribles gueules des lions et les terrifiantes pointes de leurs griffes, qui jadis marchas sur l’onde amère toute bouillonnante et qui endormis les flots et la fureur des vents afin d’arracher tes disciples à une mer déchaînée, toi qui délivras bien des gens de maladies de l’âme et du corps en Dieu que tu étais, mais qui devenu homme t’es mêlé aux mortels, pour nous accomplir comme dieux en étant toi-même devenu homme, de la même manière, bienheureux, Dieu propice, viens aussi à notre appel, viens en étendant ta main, pour nous sauver, nous que déchirent guerre, bêtes féroces, flammes et vents.
Par les prières de ton serviteur Grégoire, protège-nous, Seigneur Christ, garde-nous avec soin, en nous enveloppant des ailes de ton amour et repousse, Maître, loin de tes serviteurs les sombres pensées.
Rends-nous dignes, Dieu miséricordieux, de porter vers toi nos regard, de trouver la force, le salut et la consolation auprès de toi, Père tout-puissant, inengendré, sans principe et père du principe qui est le Fils immortel, grande lumière d’une lumière semblable, qui, sortie de l’unique va à l’unique par des raisons insondables ; Fils de Dieu, sagesse, roi, Verbe et vérité, image de l’Archétype, nature égale au géniteur, pasteur, agneau et victime, Dieu, homme et grand-prêtre ; et toi, Esprit, qui viens du Père, lumière de notre intelligence, toi qui descends sur les purs et qui fais de l’homme un dieu, donne-nous, Trinité bienheureuse, mêlés ici et plus tard à la divinité dans sa plénitude, de te glorifier joyeusement en des hymnes incessants, pour les siècles des siècles.
Quelles sont les raisons de cette incroyable notoriété de saint Grégoire ? Pourquoi est-ce lui précisément qui a reçu, après Jean l’Évangéliste, le titre de Théologien (et ce depuis le concile de Chalcédoine) ? Pourquoi son œuvre fut-elle aussi aimée en Orient ? J’y vois trois explications (il y en a certainement d’autres encore).
La première, c’est la franchise de Grégoire qui, dans ses discours, dans ses lettres, dans ses poèmes autobiographiques, ne cherche pas à dissimuler à son lecteur ses véritables sentiments, dont la fatigue, la crainte, la maladie, la tristesse. Grégoire ne cache rien : il exprime aussi bien la fierté pour ses actes et sa foi que sa fragilité. Il dit ses joies et ses déceptions. Il se vante et il se fait des reproches. Il révèle ses amitiés et ses aversions. Il ne dissimule ni son amour ni son amertume. Et surtout, il partage avec nous l’émotion de sa prière et l’intimité de sa communion avec le Seigneur Jésus. Il est, sur cet aspect, tout à fait révolutionnaire par rapport à ses prédécesseurs et contemporains. Cette sincérité de Grégoire dans ses œuvres le rend extrêmement attachant : on ne le lit pas, on l’écoute. Il est présent dans chaque phrase de ses discours, dans chaque mot de sa poésie.
La deuxième raison de la notoriété de Grégoire de Nazianze, c’est le caractère équilibré de sa théologie. Il abhorre tout excès, dans quel que sens que ce soit. Il rejette tout extrémisme, comme l’opportunisme. Il voit l’orthodoxie doctrinale comme le milieu entre les extrémités hérétiques opposées, le milieu qui exclut tout compromis. En doctrine trinitaire, l’orthodoxe réside pour lui entre la division d’Arius, d’une part, et la confusion de Sabellius, d’autre part. En christologie, la saine foi consiste à éviter d’un côté la confusion d’Apollinaire (qui prive le Christ de l’intellect humain) et, d’un autre côté, la division du Seigneur en deux fils (le Fils de Dieu et le fils de l’homme). Enfin, Grégoire n’a de cesse de répéter que la foi n’est pas dans les syllabes et les mots, elle se révèle dans le rapport de l’homme avec Dieu. Il se moque des polémiques stériles autour des formules et appelle à scruter l’esprit, non la lettre de la foi.
Enfin, la troisième raison de la popularité de Grégoire, c’est son attachement à la paix de l’Église. C’est la recherche de la paix qui l’a poussé à démissionner de la chaire épiscopale de Constantinople, à fuir même le concile de 381, deuxième œcuménique, qui s’en est pris à lui, à son ministère, à sa façon de présider l’assemblée épiscopale, à la canonicité de son intronisation comme évêque de Byzance. Il n’a pas voulu se battre, il n’a pas cherché la revanche, il n’a pas voulu l’intervention de l’empereur. Il s’est retiré, avec amertume certes, mais sans hésitation, pour la paix.
En quittant Constantinople, las des intrigues des évêques et des luttes fratricides entre différents partis religieux, il écrivit un magnifique discours d’adieu. Je vous en citerai, en conclusion, un extrait, dans l’espoir que le vibrant appel de saint Grégoire à la paix dans l’Église fera parmi vous des émules inspirés :
« Comment pourrai-je supporter cette guerre sainte, puisqu’il faut parler de guerre sainte comme on parle de guerre barbaresque ? Comment relier et réunir ces gens qui dressent l’un contre l’autre leur siège et leur autorité pastorale, ainsi que ce peuple constitué autour d’eux en blocs opposés et qui ressemble à ce que deviennent dans les fractures causées par les séismes les parties qui étaient voisines et proches l’une de l’autre, ou encore aux serviteurs et aux domestiques dans le cas des maladies contagieuses quand le mal se communique avec facilité d’une personne à l’autre ? Mais ce n’est pas tout : il y a aussi les continents qui les ont rejoints dans leurs dissensions, de telle façon que l’Orient et l’Occident se sont séparés pour former des camps qui s’opposent, au point que cette coupure risque d’affecter les idées non moins que les points cardinaux. Jusqu’à quand y aura-t-il le mien et le tien, l’ancien et le nouveau, l’intellectuel et le spirituel, celui qui dispose les foules et celui qui n’a qu’une maigre clientèle ? Je rougis de ma vieillesse si, après avoir été sauvé par le Christ, je prends un autre nom que le sien. Je ne supporte plus vos courses de chevaux, vos criques et ces fureurs symétriques qui se dépensent en passions partisanes… Aujourd’hui nos sièges sont associés et nous avons les mêmes opinions, si ceux qui nous dirigent nous y portent : demain les sièges s’opposeront et les opinions aussi, si le vent vient à souffler en sens contraire. La haine et l’amitié dictent notre vocabulaire et, ce qui est le plus grave, nous n’avons pas honte de tenir devant le même auditoire des propos opposés… Je veux vous dire adieu, Orient et Occident, qui êtes à la fois motifs et auteurs de la guerre qui nous est faite : il en est le témoin, celui qui vous donnera la paix pour peu que quelques-uns imitent mon retrait. Ceux qui ont fait l’abandon de leur trône n’en perdront pas Dieu pour autant, mais ils obtiendront un siège là-haut, un siège bien plus élevé et plus sûr qu’aucun de ceux qui sont ici » (Or. 42, 21-22 et 27).
PRIÈRE POUR LA FÊTE DE SAINT GRÉGOIRE
Seigneur Christ qui par les paumes immaculées de ton serviteur Moïse jadis dressées en forme de croix sur la montagne fis fléchir d’Amalec la force funeste, qui par des mains dans la fosse tendues enchaînas aux pieds de Daniel les terribles gueules des lions et les terrifiantes pointes de leurs griffes, qui jadis marchas sur l’onde amère toute bouillonnante et qui endormis les flots et la fureur des vents afin d’arracher tes disciples à une mer déchaînée, toi qui délivras bien des gens de maladies de l’âme et du corps en Dieu que tu étais, mais qui devenu homme t’es mêlé aux mortels, pour nous accomplir comme dieux en étant toi-même devenu homme, de la même manière, bienheureux, Dieu propice, viens aussi à notre appel, viens en étendant ta main, pour nous sauver, nous que déchirent guerre, bêtes féroces, flammes et vents.
Par les prières de ton serviteur Grégoire, protège-nous, Seigneur Christ, garde-nous avec soin, en nous enveloppant des ailes de ton amour et repousse, Maître, loin de tes serviteurs les sombres pensées.
Rends-nous dignes, Dieu miséricordieux, de porter vers toi nos regard, de trouver la force, le salut et la consolation auprès de toi, Père tout-puissant, inengendré, sans principe et père du principe qui est le Fils immortel, grande lumière d’une lumière semblable, qui, sortie de l’unique va à l’unique par des raisons insondables ; Fils de Dieu, sagesse, roi, Verbe et vérité, image de l’Archétype, nature égale au géniteur, pasteur, agneau et victime, Dieu, homme et grand-prêtre ; et toi, Esprit, qui viens du Père, lumière de notre intelligence, toi qui descends sur les purs et qui fais de l’homme un dieu, donne-nous, Trinité bienheureuse, mêlés ici et plus tard à la divinité dans sa plénitude, de te glorifier joyeusement en des hymnes incessants, pour les siècles des siècles.