A tous ceux qui réduisent la vie publique de Jésus à une prédication éthérée, donc abstraite, sur l’amour, la béatitude et le pardon, le récit que nous venons d’entendre rappelle la radicalité de sa prédication en paroles et en actes, au contact d’une humanité malade à la fois hantée par la mort et confusément éprise de la vie éternelle.
Celui qui est le Fils de Dieu fait face à un père qui lui présente son fils. Celui qui est le Verbe de Dieu fait face à un enfant muet. Celui qui est consubstantiel à l’unique Esprit de Dieu fait face à un esprit.
Dieu fait face à Sa créature hors d’elle-même, défigurée, coupée de sa nature et dissociée de sa personne – il fait face à la faillite apparente de Sa création, à la mise en échec de Son amour et au dévoiement de la liberté humaine.
Et ce drame divin auquel nous assistons est doublé d’un drame humain, puisque Jésus, qui aime les enfants, est confronté à la souffrance apparemment inexpugnable de l’un d’entre eux. Celui qui a l’usage de dire « Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent » fait face à l’un de ces petits, dont l’innocence a été usurpée par un esprit.
Chacun d’entre nous sait l’effroi que peuvent susciter les personnes possédées ou aliénées quand on les rencontre sans filets. Et chacun d’entre nous sait la tristesse que procure le face à face avec un enfant malade ou maltraité. Répulsion face à la maladie mentale, frayeur face au démon, compassion face à l’enfant malade, scandale face à l’enfance en proie au mal – tels sont les sentiments mêlés que nous inspirerait le petit possédé si nous l’avions en face de nous, et dont il nous faut bien prendre la mesure si nous voulons que la vérité de l’évangile illumine notre vie.
Jésus-Christ se fait amener l’enfant dont le tableau clinique est absolument effroyable : il est possédé par un esprit qui le rend muet. Cet esprit s’empare de lui n’importe où, il le jette par terre, l’enfant écume, grince des dents et devient tout raide. L’incapacité de ses disciples à exorciser l’enfant est comme un écho à l’impuissance de Dieu face au mal quand il se fait l’usurpateur de la liberté humaine. Elle préfigure notre propre insuffisance – nous qui annonçons le Christ dans un monde écumant, grinçant des dents et toujours plus raide dans ce devenir cadavérique qui est le contrepoint morbide à la ligne mélodique de notre déification.
Celui que les apôtres n’ont pas su délivrer de l’entité qui le torture, nous avons renoncé à sa guérison en le confiant aux soins d’une camisole chimique, parfois doublée d’un internement. Et pour cela nous méritons bien l’adresse de Jésus à tous les âges de l’Humanité qui se sont succédés depuis son Incarnation : « Génération incroyante, combien de temps resterai-je auprès de vous ? Combien de temps devrai-je vous supporter ? »
C’est que notre impuissance n’est que le reflet dans l’Histoire de notre incroyance. Là où nous voyons en elle une loi de nature, Jésus-Christ pointe une renonciation à notre filiation divine, qui nous soumet aux esprits inférieurs que nous devrions dominer, ne serait-ce que parce que nous disposons de l’image et de la ressemblance, comme du Nom qui est au-dessus de tout nom.
La preuve en est que l’esprit reconnaît immédiatement Jésus, auquel il cherche désespérément à soustraire l’enfant en le faisant entrer en convulsion. C’est alors un combat terrible entre le Dieu fait homme et l’esprit ennemi de l’homme qui se disputent au travers d’un enfant, la meilleure part de l’humanité.
Au travers de la confession de foi du père, c’est la liberté humaine que Jésus sollicite au seuil de sa prière d’exorcisme. Il faut que l’homme s’écrie « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » pour que Dieu ordonne au mal « Esprit qui rends muet et sourd, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus jamais ! ».
Il faut ici noter que l’Esprit lutte avant de sortir : il lutte parce qu’il a fait du combat contre Dieu la loi de sa nature, et que sur le champ de bataille de l’humanité, il a l’occasion d’affronter Celui-là même auquel il reproche d’avoir tant accordé à l’homme.
Il faut aussi remarquer que Jésus-Christ le chasse sans le juger ni l’exterminer, ce qui nous dit beaucoup du mystérieux statut de ces esprits, démons ou entités dont la déchéance ne doit pas nous faire oublier l’origine angélique. Ayant poussé des cris et provoqué des convulsions, l’esprit sort, et nous n’en saurons pas davantage, ce qui doit inciter à la prudence tous ceux qui croient que le jugement dernier consistera en le triomphe, à l’échelle du cosmos, de leur petite morale personnelle.
Il faut enfin accepter qu’une mort symbolique précède la guérison et le relèvement, comme c’est le cas lors de notre baptême : l’enfant devint comme un cadavre, de sorte que tout le monde disait : « Il est mort. » Mais Jésus, lui saisissant la main, le releva, et il se mit debout.
Jésus fait davantage que nous guérir, nous rendre à nous-même et nous libérer, ce qui est une seule et même chose – il nous prend par la main et il nous relève pour que nous vivions debout en fils de Dieu et en héritiers du Royaume.
L’humanité est cet enfant écumant habité par un esprit qui fait de lui le jeu de forces incontrôlables ; elle est ce père de famille que son désespoir conduit à confesser dans la même phrase son impuissance et sa foi ; elle est ce disciple qui n’est pas capable de ce qu’il croit ; mais elle est aussi cet enfant relevé délicatement par Dieu Lui-même – cet enfant ébaubi peut-être, mal assuré sans doute, traumatisé assurément, mais guéri, debout et promis au Royaume.
N’ayons pas peur de cet enfant puisque nous le sommes, et que Jésus-Christ nous relève, en tout temps, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Celui qui est le Fils de Dieu fait face à un père qui lui présente son fils. Celui qui est le Verbe de Dieu fait face à un enfant muet. Celui qui est consubstantiel à l’unique Esprit de Dieu fait face à un esprit.
Dieu fait face à Sa créature hors d’elle-même, défigurée, coupée de sa nature et dissociée de sa personne – il fait face à la faillite apparente de Sa création, à la mise en échec de Son amour et au dévoiement de la liberté humaine.
Et ce drame divin auquel nous assistons est doublé d’un drame humain, puisque Jésus, qui aime les enfants, est confronté à la souffrance apparemment inexpugnable de l’un d’entre eux. Celui qui a l’usage de dire « Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent » fait face à l’un de ces petits, dont l’innocence a été usurpée par un esprit.
Chacun d’entre nous sait l’effroi que peuvent susciter les personnes possédées ou aliénées quand on les rencontre sans filets. Et chacun d’entre nous sait la tristesse que procure le face à face avec un enfant malade ou maltraité. Répulsion face à la maladie mentale, frayeur face au démon, compassion face à l’enfant malade, scandale face à l’enfance en proie au mal – tels sont les sentiments mêlés que nous inspirerait le petit possédé si nous l’avions en face de nous, et dont il nous faut bien prendre la mesure si nous voulons que la vérité de l’évangile illumine notre vie.
Jésus-Christ se fait amener l’enfant dont le tableau clinique est absolument effroyable : il est possédé par un esprit qui le rend muet. Cet esprit s’empare de lui n’importe où, il le jette par terre, l’enfant écume, grince des dents et devient tout raide. L’incapacité de ses disciples à exorciser l’enfant est comme un écho à l’impuissance de Dieu face au mal quand il se fait l’usurpateur de la liberté humaine. Elle préfigure notre propre insuffisance – nous qui annonçons le Christ dans un monde écumant, grinçant des dents et toujours plus raide dans ce devenir cadavérique qui est le contrepoint morbide à la ligne mélodique de notre déification.
Celui que les apôtres n’ont pas su délivrer de l’entité qui le torture, nous avons renoncé à sa guérison en le confiant aux soins d’une camisole chimique, parfois doublée d’un internement. Et pour cela nous méritons bien l’adresse de Jésus à tous les âges de l’Humanité qui se sont succédés depuis son Incarnation : « Génération incroyante, combien de temps resterai-je auprès de vous ? Combien de temps devrai-je vous supporter ? »
C’est que notre impuissance n’est que le reflet dans l’Histoire de notre incroyance. Là où nous voyons en elle une loi de nature, Jésus-Christ pointe une renonciation à notre filiation divine, qui nous soumet aux esprits inférieurs que nous devrions dominer, ne serait-ce que parce que nous disposons de l’image et de la ressemblance, comme du Nom qui est au-dessus de tout nom.
La preuve en est que l’esprit reconnaît immédiatement Jésus, auquel il cherche désespérément à soustraire l’enfant en le faisant entrer en convulsion. C’est alors un combat terrible entre le Dieu fait homme et l’esprit ennemi de l’homme qui se disputent au travers d’un enfant, la meilleure part de l’humanité.
Au travers de la confession de foi du père, c’est la liberté humaine que Jésus sollicite au seuil de sa prière d’exorcisme. Il faut que l’homme s’écrie « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » pour que Dieu ordonne au mal « Esprit qui rends muet et sourd, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus jamais ! ».
Il faut ici noter que l’Esprit lutte avant de sortir : il lutte parce qu’il a fait du combat contre Dieu la loi de sa nature, et que sur le champ de bataille de l’humanité, il a l’occasion d’affronter Celui-là même auquel il reproche d’avoir tant accordé à l’homme.
Il faut aussi remarquer que Jésus-Christ le chasse sans le juger ni l’exterminer, ce qui nous dit beaucoup du mystérieux statut de ces esprits, démons ou entités dont la déchéance ne doit pas nous faire oublier l’origine angélique. Ayant poussé des cris et provoqué des convulsions, l’esprit sort, et nous n’en saurons pas davantage, ce qui doit inciter à la prudence tous ceux qui croient que le jugement dernier consistera en le triomphe, à l’échelle du cosmos, de leur petite morale personnelle.
Il faut enfin accepter qu’une mort symbolique précède la guérison et le relèvement, comme c’est le cas lors de notre baptême : l’enfant devint comme un cadavre, de sorte que tout le monde disait : « Il est mort. » Mais Jésus, lui saisissant la main, le releva, et il se mit debout.
Jésus fait davantage que nous guérir, nous rendre à nous-même et nous libérer, ce qui est une seule et même chose – il nous prend par la main et il nous relève pour que nous vivions debout en fils de Dieu et en héritiers du Royaume.
L’humanité est cet enfant écumant habité par un esprit qui fait de lui le jeu de forces incontrôlables ; elle est ce père de famille que son désespoir conduit à confesser dans la même phrase son impuissance et sa foi ; elle est ce disciple qui n’est pas capable de ce qu’il croit ; mais elle est aussi cet enfant relevé délicatement par Dieu Lui-même – cet enfant ébaubi peut-être, mal assuré sans doute, traumatisé assurément, mais guéri, debout et promis au Royaume.
N’ayons pas peur de cet enfant puisque nous le sommes, et que Jésus-Christ nous relève, en tout temps, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.