Nous publions ci-dessous un hommage du P. Stephen Headley, enseignant du Séminaire, au métropolite Antoine (Blum), évêque orthodoxe en Grande-Bretagne, décédé il y a dix ans (le 4 août 2003). L'orthographe et la syntaxe de l'auteur sont conservées.
Premièrement, réfléchissons sur le temps spécifique de l’acte de voir. Dans ses sermons, le métropolite Antoine (Blum) prêchait qu’on ne peut voir, en profondeur, que hic et nunc : ici et maintenant. Dans son sermon à propos de « La lampe du corps, c’est l’œil » (Matthieu 6 :22-33), Vladika souligne que le temps de l’apprentissage ne peut être que le présent. On a besoin d’un sens aigu de sa responsabilité pour se tenir dans le moment présent. La krisis de Dieu, au sens grec du terme jugement, ne peut nous arriver que sous la forme du jugement de notre état présent, car on ne peut juger l’absent, seul le présent possède l’actualité.
Et ainsi la prière nous permet de ralentir le temps afin qu’il fasse halte et que nous soyons pleinement ici. Le Christ posait une importante question à ses disciples, que le métropolite Antoine nous rappelait souvent : Sommes-nous prêts à porter la croix qu’Il a portée, sommes-nous prêts maintenant à « unir notre vie au Christ » en « buvant à la coupe à laquelle Il but, en plongeant dans l’horreur où Il dût plonger ? » Beaucoup de gens font face à cela durant un moment de vérité, voyant et rencontrant véritablement le Christ, dans un moment singulier, « fuyant Son amour avec terreur, parce que, à ce moment l’amour demande le rejet de soi. » (Sermon sur la Sainte communion) . Cette fuite est compréhensible parce que le Christ nous donne la liberté de souffrir avec tous ceux qui ont souffert, et que chaque jour nous rencontrons des personnes qui ont besoin, maintenant, à ce moment précis, de notre compassion. Nous ne pouvons pas relever ce défi ou podvig, disait Vladika, si nous n’avons pas appris du Christ comment aimer. Comment pourrions-nous nous confier avec une confiance complète à l’Amour du Seigneur pour les autres si nous ne vivions maintenant cette relation ?
Deuxièmement, la liberté qui se trouve dans l’acte de voir, en observant notre Père à la lumière du Christ, n’est pas un droit. C’est bien autre chose : un don que seul Dieu peut accorder. Cette liberté de voir le monde comme Dieu le voit semble aller à l’encontre des faits. Mais spontanément nous voyons ce qui n’existe pas. Et en conséquence il y a cécité : c’est la cécité de l’idolâtrie.
Le point de vue critique de la théologie chrétienne à propos des idoles découle du thème de l’icône présent dans l’épître de Paul aux Colossiens 1 :15 : « Il est l’image (icône) du Dieu invisible, premier-né de toute création ». Comme le fait remarquer Jean Luc Marion, c’est notre regard sécularisé qui crée les idoles. Cela se produit quand on surinvestit ce que l’on regarde. L’idole devient un miroir, remplissant le regard d’une fausse image de soi. S’il nous arrive de voir ce qui n’existe pas, inversement, l’icône de l’invisible provoque une vision plus profonde. L’icône visible, lorsqu’elle est vénérée, nous conduit à l’invisible, parce que le visible lui-même procède de l’invisible. Autrement dit, le visible affirme que nous vivons dans un monde créé, qui nous est donné par Dieu afin que nous parvenions à Le connaître.
Comme l’écrivait Saint Jean Damascène (c.675-749) : « toute icône manifeste un secret qu’elle indique ». Mais même représenté par l’icône, l’invisible demeure invisible, inenvisageable, mais présent par lui-même. Comment se peut-il que « L’icône rend(e) visible en suscitant un regard [porté vers l’] infini » ? Le regard n’appartient plus à celui qui regarde. Comme Leonid Ouspensky le disait souvent : c’est dans une contemplation « réciproque» de l’icône que l’invisible regarde l’homme. Les saints pères disaient souvent que pour un baptisé le Christ est toujours en train de s’approcher de nous. Selon le Septième Concile Oecuménique de Nicée (787), l’icône se fonde sur l’hypostase de Jésus Christ. Nous regardons le visage de celui dont l’intention invisible est de nous regarder, nous hommes, sa créature. Et pendant que nous contemplons une icône notre regard est conduit dans ses profondeurs. Le visible ouvre sur l’invisible car le visage de l’icône est ouvert sur l’au-delà.
C’est ainsi que la liberté qui se trouve dans l’acte de voir est un privilège baptismal qui permet à l’homme de tourner son regard vers le Créateur. Cette liberté nous accompagne chaque jour. Nous sommes amenés à méditer le verset de la Genèse 1 : 26 : « Puis Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance… Alors Dieu créa l’homme à son image; à l’image de Dieu Il le créa ; mâle et femelle Il les créa. » Ainsi notre vision est aiguisée quand nous tournons notre regard vers notre Créateur, car Il indique l’orientation, la direction vers laquelle notre vision est visionnaire et non idolâtre.
Le métropolite Antoine prêchait souvent sur la parabole du fils prodigue, nous donnant une leçon très claire concernant la liberté de voir. Le fils prodigue « se sentait entravé par la présence de son père » limité par l’intégrité et la vérité que Dieu attend de nous ; et donc il rejeta son père jusqu'à ce qu’une inévitable faim lui fasse réaliser que le monde dans lequel il avait choisi de vivre était « fait par l’homme et non fait par Dieu ». Tandis qu’il gaspillait la bonté de son père, ce dernier attendait son retour. Finalement il réalisa que « la seule vie qu’on ait est le souffle que Dieu a mis en nous ». Et le fait que nous ayons la liberté de voir notre Père est évidente : le fils prodigue peut encore appeler « Père » alors qu’il s’en était détourné. Cette conscience que c’est son Père est la semence de toute grandeur humaine. Quand nous parvenons à ce moment, nous voyons que « notre Père est le seul qui nous aime encore ».
Troisièmement, voir soi-même dans la lumière du Christ. Chacun de nous, homme, femme, enfant, est né avec la liberté d’apprendre qui il est, d’expérimenter en ses profondeurs cette honnêteté intérieure qui nous permet de distinguer le vrai du faux. Sur la base d’un faux soi, aucune foi religieuse ne peut s’édifier. Le P. Basile Thermos (In Search of the Person, 2002) montre que c’est le leitmotiv de la théologie grecque du vingtième siècle. La leçon vient directement des pères de l’Eglise, et en particulier de Saint Grégoire Palamas Dans son sermon sur « être vraiment soi-même » (12.VIII.90) Vladika était insistant à montrer que la recherche de cette honnêteté intérieure est un combat de chaque jour. Le psaume 50 le dit tout autant : nous pouvons prier Dieu avec l’assurance que « un cœur brisé et humilié, Dieu ne le méprisera pas ». Sans une telle purification, un désherbage quotidien de l’âme « des vaines imaginations et des souvenirs mauvais », comme nous le prions aux Vêpres, nous nous retrouvons privés de liberté au moment présent, incapable de voir la lumière que Dieu a mise en nous dès notre naissance. Ainsi Saint Paul décrit-il le désir dans l’épître aux Romains (8:22) : « Nous le savons en effet : la création toute entière gémit maintenant dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, possédant les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance de notre corps. » Durant notre recherche d’honnêteté intérieure, le présent d’une telle crise est un « entre deux », car juste au moment où nous allons nous confesser, recherchant le pardon de Dieu, nous espérons la liberté de la purification. A ce moment nous sentons que nous nous tenons devant le trône du redoutable jugement de Dieu. Ce moment est une véritable libération si nous réalisons que nous sommes non seulement redevables devant Dieu mais devant tous les hommes : nous sommes tous responsables « de la douleur de la vie et de sa lourdeur ». Il ne nous est pas seulement demandé de rechercher le pardon de Dieu, mais aussi de pardonner et d’intercéder pour tous ceux que nous connaissons (Sermon, Dimanche du Jugement dernier).
Quatrièmement, le moment où l’on apprend à voir, est dicté par la direction et la source d’une vision qui sauve. Il peut se manifester lorsque le nom de notre Seigneur, à force d’être invoqué avec ferveur, reste dans nos cœurs et nous parle en nous remémorant sa présence. C’est une parole donnée et un instant de grâce. Père Serge Boulgakov dans Le Nom de Dieu (chap.6), décrit comment Dieu met alors des mots sur nos lèvres. Puisé dans la vision libre de distractions, le nom se présente dans nos cœurs « par lui-même » comme une joie inattendue, comme une liberté pour laquelle nous avons combattu, mais qui demeure néanmoins un don inattendu. Et notre liberté consiste à être délivrés du cercle de l’égocentricité. Cela surpasse toute liberté dans le sens habituel, car c’est une liberté « pour, envers » et non une liberté « de », une délivrance de…. Apprendre à voir où, en ce moment précis , nous sommes dans la prière, c’est-à-dire égarés par des distraction ou nous tenant devant Dieu, nous permet d’ancrer notre soi dans l’image de Celui qui nous a créés.
Dans ses sermons sur la nouvelle année, le métropolite Antoine aimait dépeindre les mois à venir comme une plaine couverte de neige, sur laquelle personne n’a marché, qui est intacte, attendant que nous découvrions, au cours de sa traversée, la volonté de Dieu. Cependant, pour être honnête, nous devons admettre que de nombreux mois et de nombreuses années commencent « sombres, denses, opaques, dangereux et effrayants… quand la violence et la cruauté règnent ». Le métropolite Antoine affirmait fermement que ce ne serait pas du tout chrétien de notre part que de demander à Dieu de nous protéger, de faire de notre église un refuge, car que ferions-nous des autres qui sont en-dehors de l’église ? Quand l’éternité et le temps s’unissent, c’est le salut qui remplace le mystère de la chute de l’humanité par la confiance dans un temps nouveau. Alors, avec les yeux de la foi nous voyons et sentons profondément que le Royaume du Père, et du Fils, et du Saint Esprit est béni, béni par le règne du Père. Tandis que l’égoïsme engendre la peur, l’Evangile nous demande de relever la tête vers la montagne d’où nous vient l’aide, vers Dieu. Nous devenons coréalisateurs de l’histoire avec le Seigneur. Les apôtres n’étaient pas effrayés par le jugement du feu ; ils croyaient que l’Evangile était la vérité pure et entière qui allume « l’autre lumière ». Adorer Dieu c’est croire qu’aucun compromis ne peut diminuer notre communion avec Dieu et avec les autres.
Quand nous suivons le Christ, disait Vladika (Sermon sur la Communion et la vie) la règle est que, comme le Christ est mort pour le salut des autres, nous aussi nous commençons à avoir l’opportunité de souffrir de leurs souffrances ou exceptionnellement de les accompagner dans leur mort et ainsi, jusqu’à un certain point, de mourir avec eux, afin qu’ils puissent partager et posséder Sa vie. Comment cela serait-il possible si nous ne considérions pas sérieusement le fait que semaine après semaine participant à Son Saint Repas nous devenons un avec le Christ qui est devenu un avec tous les hommes ? « Faites ceci en mémoire de Moi », cela ne signifie rien de moins que de partager la vitalité de notre corps et la force de notre vie d’une façon indicible, sincère, avec ceux qui nous sont proches, comme le fit le Christ.
Vézelay, 1er septembre 2013.
Premièrement, réfléchissons sur le temps spécifique de l’acte de voir. Dans ses sermons, le métropolite Antoine (Blum) prêchait qu’on ne peut voir, en profondeur, que hic et nunc : ici et maintenant. Dans son sermon à propos de « La lampe du corps, c’est l’œil » (Matthieu 6 :22-33), Vladika souligne que le temps de l’apprentissage ne peut être que le présent. On a besoin d’un sens aigu de sa responsabilité pour se tenir dans le moment présent. La krisis de Dieu, au sens grec du terme jugement, ne peut nous arriver que sous la forme du jugement de notre état présent, car on ne peut juger l’absent, seul le présent possède l’actualité.
Et ainsi la prière nous permet de ralentir le temps afin qu’il fasse halte et que nous soyons pleinement ici. Le Christ posait une importante question à ses disciples, que le métropolite Antoine nous rappelait souvent : Sommes-nous prêts à porter la croix qu’Il a portée, sommes-nous prêts maintenant à « unir notre vie au Christ » en « buvant à la coupe à laquelle Il but, en plongeant dans l’horreur où Il dût plonger ? » Beaucoup de gens font face à cela durant un moment de vérité, voyant et rencontrant véritablement le Christ, dans un moment singulier, « fuyant Son amour avec terreur, parce que, à ce moment l’amour demande le rejet de soi. » (Sermon sur la Sainte communion) . Cette fuite est compréhensible parce que le Christ nous donne la liberté de souffrir avec tous ceux qui ont souffert, et que chaque jour nous rencontrons des personnes qui ont besoin, maintenant, à ce moment précis, de notre compassion. Nous ne pouvons pas relever ce défi ou podvig, disait Vladika, si nous n’avons pas appris du Christ comment aimer. Comment pourrions-nous nous confier avec une confiance complète à l’Amour du Seigneur pour les autres si nous ne vivions maintenant cette relation ?
Deuxièmement, la liberté qui se trouve dans l’acte de voir, en observant notre Père à la lumière du Christ, n’est pas un droit. C’est bien autre chose : un don que seul Dieu peut accorder. Cette liberté de voir le monde comme Dieu le voit semble aller à l’encontre des faits. Mais spontanément nous voyons ce qui n’existe pas. Et en conséquence il y a cécité : c’est la cécité de l’idolâtrie.
Le point de vue critique de la théologie chrétienne à propos des idoles découle du thème de l’icône présent dans l’épître de Paul aux Colossiens 1 :15 : « Il est l’image (icône) du Dieu invisible, premier-né de toute création ». Comme le fait remarquer Jean Luc Marion, c’est notre regard sécularisé qui crée les idoles. Cela se produit quand on surinvestit ce que l’on regarde. L’idole devient un miroir, remplissant le regard d’une fausse image de soi. S’il nous arrive de voir ce qui n’existe pas, inversement, l’icône de l’invisible provoque une vision plus profonde. L’icône visible, lorsqu’elle est vénérée, nous conduit à l’invisible, parce que le visible lui-même procède de l’invisible. Autrement dit, le visible affirme que nous vivons dans un monde créé, qui nous est donné par Dieu afin que nous parvenions à Le connaître.
Comme l’écrivait Saint Jean Damascène (c.675-749) : « toute icône manifeste un secret qu’elle indique ». Mais même représenté par l’icône, l’invisible demeure invisible, inenvisageable, mais présent par lui-même. Comment se peut-il que « L’icône rend(e) visible en suscitant un regard [porté vers l’] infini » ? Le regard n’appartient plus à celui qui regarde. Comme Leonid Ouspensky le disait souvent : c’est dans une contemplation « réciproque» de l’icône que l’invisible regarde l’homme. Les saints pères disaient souvent que pour un baptisé le Christ est toujours en train de s’approcher de nous. Selon le Septième Concile Oecuménique de Nicée (787), l’icône se fonde sur l’hypostase de Jésus Christ. Nous regardons le visage de celui dont l’intention invisible est de nous regarder, nous hommes, sa créature. Et pendant que nous contemplons une icône notre regard est conduit dans ses profondeurs. Le visible ouvre sur l’invisible car le visage de l’icône est ouvert sur l’au-delà.
C’est ainsi que la liberté qui se trouve dans l’acte de voir est un privilège baptismal qui permet à l’homme de tourner son regard vers le Créateur. Cette liberté nous accompagne chaque jour. Nous sommes amenés à méditer le verset de la Genèse 1 : 26 : « Puis Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance… Alors Dieu créa l’homme à son image; à l’image de Dieu Il le créa ; mâle et femelle Il les créa. » Ainsi notre vision est aiguisée quand nous tournons notre regard vers notre Créateur, car Il indique l’orientation, la direction vers laquelle notre vision est visionnaire et non idolâtre.
Le métropolite Antoine prêchait souvent sur la parabole du fils prodigue, nous donnant une leçon très claire concernant la liberté de voir. Le fils prodigue « se sentait entravé par la présence de son père » limité par l’intégrité et la vérité que Dieu attend de nous ; et donc il rejeta son père jusqu'à ce qu’une inévitable faim lui fasse réaliser que le monde dans lequel il avait choisi de vivre était « fait par l’homme et non fait par Dieu ». Tandis qu’il gaspillait la bonté de son père, ce dernier attendait son retour. Finalement il réalisa que « la seule vie qu’on ait est le souffle que Dieu a mis en nous ». Et le fait que nous ayons la liberté de voir notre Père est évidente : le fils prodigue peut encore appeler « Père » alors qu’il s’en était détourné. Cette conscience que c’est son Père est la semence de toute grandeur humaine. Quand nous parvenons à ce moment, nous voyons que « notre Père est le seul qui nous aime encore ».
Troisièmement, voir soi-même dans la lumière du Christ. Chacun de nous, homme, femme, enfant, est né avec la liberté d’apprendre qui il est, d’expérimenter en ses profondeurs cette honnêteté intérieure qui nous permet de distinguer le vrai du faux. Sur la base d’un faux soi, aucune foi religieuse ne peut s’édifier. Le P. Basile Thermos (In Search of the Person, 2002) montre que c’est le leitmotiv de la théologie grecque du vingtième siècle. La leçon vient directement des pères de l’Eglise, et en particulier de Saint Grégoire Palamas Dans son sermon sur « être vraiment soi-même » (12.VIII.90) Vladika était insistant à montrer que la recherche de cette honnêteté intérieure est un combat de chaque jour. Le psaume 50 le dit tout autant : nous pouvons prier Dieu avec l’assurance que « un cœur brisé et humilié, Dieu ne le méprisera pas ». Sans une telle purification, un désherbage quotidien de l’âme « des vaines imaginations et des souvenirs mauvais », comme nous le prions aux Vêpres, nous nous retrouvons privés de liberté au moment présent, incapable de voir la lumière que Dieu a mise en nous dès notre naissance. Ainsi Saint Paul décrit-il le désir dans l’épître aux Romains (8:22) : « Nous le savons en effet : la création toute entière gémit maintenant dans les douleurs de l’enfantement. Elle n’est pas la seule : nous aussi, possédant les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption, la délivrance de notre corps. » Durant notre recherche d’honnêteté intérieure, le présent d’une telle crise est un « entre deux », car juste au moment où nous allons nous confesser, recherchant le pardon de Dieu, nous espérons la liberté de la purification. A ce moment nous sentons que nous nous tenons devant le trône du redoutable jugement de Dieu. Ce moment est une véritable libération si nous réalisons que nous sommes non seulement redevables devant Dieu mais devant tous les hommes : nous sommes tous responsables « de la douleur de la vie et de sa lourdeur ». Il ne nous est pas seulement demandé de rechercher le pardon de Dieu, mais aussi de pardonner et d’intercéder pour tous ceux que nous connaissons (Sermon, Dimanche du Jugement dernier).
Quatrièmement, le moment où l’on apprend à voir, est dicté par la direction et la source d’une vision qui sauve. Il peut se manifester lorsque le nom de notre Seigneur, à force d’être invoqué avec ferveur, reste dans nos cœurs et nous parle en nous remémorant sa présence. C’est une parole donnée et un instant de grâce. Père Serge Boulgakov dans Le Nom de Dieu (chap.6), décrit comment Dieu met alors des mots sur nos lèvres. Puisé dans la vision libre de distractions, le nom se présente dans nos cœurs « par lui-même » comme une joie inattendue, comme une liberté pour laquelle nous avons combattu, mais qui demeure néanmoins un don inattendu. Et notre liberté consiste à être délivrés du cercle de l’égocentricité. Cela surpasse toute liberté dans le sens habituel, car c’est une liberté « pour, envers » et non une liberté « de », une délivrance de…. Apprendre à voir où, en ce moment précis , nous sommes dans la prière, c’est-à-dire égarés par des distraction ou nous tenant devant Dieu, nous permet d’ancrer notre soi dans l’image de Celui qui nous a créés.
Dans ses sermons sur la nouvelle année, le métropolite Antoine aimait dépeindre les mois à venir comme une plaine couverte de neige, sur laquelle personne n’a marché, qui est intacte, attendant que nous découvrions, au cours de sa traversée, la volonté de Dieu. Cependant, pour être honnête, nous devons admettre que de nombreux mois et de nombreuses années commencent « sombres, denses, opaques, dangereux et effrayants… quand la violence et la cruauté règnent ». Le métropolite Antoine affirmait fermement que ce ne serait pas du tout chrétien de notre part que de demander à Dieu de nous protéger, de faire de notre église un refuge, car que ferions-nous des autres qui sont en-dehors de l’église ? Quand l’éternité et le temps s’unissent, c’est le salut qui remplace le mystère de la chute de l’humanité par la confiance dans un temps nouveau. Alors, avec les yeux de la foi nous voyons et sentons profondément que le Royaume du Père, et du Fils, et du Saint Esprit est béni, béni par le règne du Père. Tandis que l’égoïsme engendre la peur, l’Evangile nous demande de relever la tête vers la montagne d’où nous vient l’aide, vers Dieu. Nous devenons coréalisateurs de l’histoire avec le Seigneur. Les apôtres n’étaient pas effrayés par le jugement du feu ; ils croyaient que l’Evangile était la vérité pure et entière qui allume « l’autre lumière ». Adorer Dieu c’est croire qu’aucun compromis ne peut diminuer notre communion avec Dieu et avec les autres.
Quand nous suivons le Christ, disait Vladika (Sermon sur la Communion et la vie) la règle est que, comme le Christ est mort pour le salut des autres, nous aussi nous commençons à avoir l’opportunité de souffrir de leurs souffrances ou exceptionnellement de les accompagner dans leur mort et ainsi, jusqu’à un certain point, de mourir avec eux, afin qu’ils puissent partager et posséder Sa vie. Comment cela serait-il possible si nous ne considérions pas sérieusement le fait que semaine après semaine participant à Son Saint Repas nous devenons un avec le Christ qui est devenu un avec tous les hommes ? « Faites ceci en mémoire de Moi », cela ne signifie rien de moins que de partager la vitalité de notre corps et la force de notre vie d’une façon indicible, sincère, avec ceux qui nous sont proches, comme le fit le Christ.
Vézelay, 1er septembre 2013.