« Au même moment où une femme pécheresse apportait le parfum, un des disciples conspirait avec les iniques. Celle-ci se réjouissait à vider sur le Christ le contenu précieux de son vase ; l’autre négociait la vente de Celui qui n’a pas de prix. Celle-ci a reconnu son Maître ; celui-là se séparait de son Maître. Celle-ci a recouvré sa liberté, quand Juda s’est rendu esclave de l’ennemi. Terrible fut l’insensibilité de Juda ! Magnifique est la conversion de la femme ! » C’est une traduction assez libre d’une des stichères que nous venons de chanter, chers frères et sœurs, à ces vêpres du Mercredi Saint qui nous font entrer pleinement dans la contemplation du mystère de la passion et de la résurrection du Seigneur Jésus.
Notre liturgie de ce jour parle beaucoup de Juda, l’opposant à la femme pécheresse au vase d’albâtre et réfléchissant aux raisons qui l’ont poussé à accomplir un acte aussi abject. Je crains que parler longtemps d’un geste ignoble, comme celui de Juda, soit peu édifiant. L’examen des raisons de sa trahison peut dériver vers quelque chose de malsain, mais puisque l’hymnographie de ce grand mercredi en parle autant, j’oserai une brève digression vers les marécages puants de l’infidélité de Juda.
Qu’est-ce qui a pu pousser un des douze apôtres à vouloir contribuer à l’arrestation du Maître ? La cupidité y a été, manifestement, pour quelque chose : les évangélistes en sont convaincus. Il a dû y avoir aussi une forte déception de l’enseignement et des desseins de Jésus, sans doute causée par cette même avidité, celle de l’argent et du pouvoir. Je vais, peut-être, dire une bêtise, mais n’est-il pas possible que Juda fût finalement le premier disciple du Christ désappointé dans ses grandes ambitions ?
Imaginez un homme intelligent, jeune, beau, plein de projets sur la transformation de la société dans laquelle il vit, sur la libération de son peuple du joug des envahisseurs, sur la restauration de la royauté d’Israël, avec un goût manifeste de l’argent, du luxe, du pouvoir, mais pas assez bien né ni assez chanceux pour parvenir au sommet du pouvoir, avec une religiosité certaine et surtout assez perdu et désorienté, avec beaucoup de temps libre. Il s’attache à Celui en qui il reconnaît d’abord le Messie tant attendu par tout son peuple. Il pense que ses rêves et ses ambitions vont sans doute pouvoir se réaliser : il aura l’argent qu’il veut, il aura le pouvoir qu’il cherche, il sera un des proches de Celui qui montera sur le trône de David et fera triompher la foi de ses pères. Et voilà qu’au fur et à mesure, il découvre que la prédication de son Maître ne rapporte pas des masses d’argent, que ce Maître ne veut même pas de résidence permanente, mais pérégrine de ville en ville, qu’il mange et boit avec des publicains et des pécheurs, qu’il se fait accompagner par des prostituées repenties, qu’il défie les scribes et les pharisiens, qu’il prêche un Royaume qui n’est pas de ce monde, qu’il exalte la faiblesse et l’humilité, qu’il pousse les riches qui viennent vers lui à tout distribuer aux pauvres et à le suivre, qu’il refuse à ses disciples l’assurance de siéger à sa droite et à sa gauche et qu’il trouve le service et l’esclavage mutuel plus prestigieux que les honneurs terrestres. Et voilà le plus douloureux : il décide enfin d’aller à Jérusalem pour se faire connaître comme Messie et Roi. Le disciple ambitieux pense : enfin, cette fois-ci nos rêves se réaliseront, tout se remettra en place. Eh bien, quelle fut sa surprise quand son Maître, sur lequel il compte tant, annonce qu’il va à Jérusalem pour être humilié, condamné, battu et crucifié ! Ce n’est pas ce que le disciple espérait, ce n’est pas ce qu’il attendait du Messie : il a été trompé dans sa foi, il a été abusé dans ses ambitions. Et le voilà à négocier avec les prêtres pour pouvoir au moins se retirer dignement de cet épisode décevant. Il ne pensait pas faire de mal : il voulait seulement faire emprisonner celui qui a brisé ses espoirs, il voulait seulement punir un peu celui qui l’a tellement déçu, tout en récupérant un peu de moyens pour survivre à cette incroyable histoire.
Vous connaissez la suite : ce disciple a vendu son meilleur Ami et son Sauveur ; il s’est senti déçu par la Parole vivante du Père ; il a contribué à mettre à mort le Créateur de l’univers, venu dans l’humilité et l’abaissement retrouver la brebis perdue. Ce disciple l’a sans doute compris, dans une ultime révélation de l’Esprit – il était quand même un apôtre ! Mais il lui manquait la bonté intérieure pour croire à la Miséricorde infinie de son Ami. Il lui manquait la confiance dans les autres pour croire au pardon de celui qu’il avait trahi. Il lui manquait le courage pour aller retrouver Celui qui, venu à sa recherche, est descendu des cieux. Pierre, lui aussi, a renié le Seigneur. Mais il était lui-même bon et a cru dans le pardon de Dieu. Pierre a eu le courage de revenir vers le Christ ressuscité, il a eu confiance dans la bonté du Maître. Et il a été pardonné.
Notre liturgie de ce jour parle beaucoup de Juda, l’opposant à la femme pécheresse au vase d’albâtre et réfléchissant aux raisons qui l’ont poussé à accomplir un acte aussi abject. Je crains que parler longtemps d’un geste ignoble, comme celui de Juda, soit peu édifiant. L’examen des raisons de sa trahison peut dériver vers quelque chose de malsain, mais puisque l’hymnographie de ce grand mercredi en parle autant, j’oserai une brève digression vers les marécages puants de l’infidélité de Juda.
Qu’est-ce qui a pu pousser un des douze apôtres à vouloir contribuer à l’arrestation du Maître ? La cupidité y a été, manifestement, pour quelque chose : les évangélistes en sont convaincus. Il a dû y avoir aussi une forte déception de l’enseignement et des desseins de Jésus, sans doute causée par cette même avidité, celle de l’argent et du pouvoir. Je vais, peut-être, dire une bêtise, mais n’est-il pas possible que Juda fût finalement le premier disciple du Christ désappointé dans ses grandes ambitions ?
Imaginez un homme intelligent, jeune, beau, plein de projets sur la transformation de la société dans laquelle il vit, sur la libération de son peuple du joug des envahisseurs, sur la restauration de la royauté d’Israël, avec un goût manifeste de l’argent, du luxe, du pouvoir, mais pas assez bien né ni assez chanceux pour parvenir au sommet du pouvoir, avec une religiosité certaine et surtout assez perdu et désorienté, avec beaucoup de temps libre. Il s’attache à Celui en qui il reconnaît d’abord le Messie tant attendu par tout son peuple. Il pense que ses rêves et ses ambitions vont sans doute pouvoir se réaliser : il aura l’argent qu’il veut, il aura le pouvoir qu’il cherche, il sera un des proches de Celui qui montera sur le trône de David et fera triompher la foi de ses pères. Et voilà qu’au fur et à mesure, il découvre que la prédication de son Maître ne rapporte pas des masses d’argent, que ce Maître ne veut même pas de résidence permanente, mais pérégrine de ville en ville, qu’il mange et boit avec des publicains et des pécheurs, qu’il se fait accompagner par des prostituées repenties, qu’il défie les scribes et les pharisiens, qu’il prêche un Royaume qui n’est pas de ce monde, qu’il exalte la faiblesse et l’humilité, qu’il pousse les riches qui viennent vers lui à tout distribuer aux pauvres et à le suivre, qu’il refuse à ses disciples l’assurance de siéger à sa droite et à sa gauche et qu’il trouve le service et l’esclavage mutuel plus prestigieux que les honneurs terrestres. Et voilà le plus douloureux : il décide enfin d’aller à Jérusalem pour se faire connaître comme Messie et Roi. Le disciple ambitieux pense : enfin, cette fois-ci nos rêves se réaliseront, tout se remettra en place. Eh bien, quelle fut sa surprise quand son Maître, sur lequel il compte tant, annonce qu’il va à Jérusalem pour être humilié, condamné, battu et crucifié ! Ce n’est pas ce que le disciple espérait, ce n’est pas ce qu’il attendait du Messie : il a été trompé dans sa foi, il a été abusé dans ses ambitions. Et le voilà à négocier avec les prêtres pour pouvoir au moins se retirer dignement de cet épisode décevant. Il ne pensait pas faire de mal : il voulait seulement faire emprisonner celui qui a brisé ses espoirs, il voulait seulement punir un peu celui qui l’a tellement déçu, tout en récupérant un peu de moyens pour survivre à cette incroyable histoire.
Vous connaissez la suite : ce disciple a vendu son meilleur Ami et son Sauveur ; il s’est senti déçu par la Parole vivante du Père ; il a contribué à mettre à mort le Créateur de l’univers, venu dans l’humilité et l’abaissement retrouver la brebis perdue. Ce disciple l’a sans doute compris, dans une ultime révélation de l’Esprit – il était quand même un apôtre ! Mais il lui manquait la bonté intérieure pour croire à la Miséricorde infinie de son Ami. Il lui manquait la confiance dans les autres pour croire au pardon de celui qu’il avait trahi. Il lui manquait le courage pour aller retrouver Celui qui, venu à sa recherche, est descendu des cieux. Pierre, lui aussi, a renié le Seigneur. Mais il était lui-même bon et a cru dans le pardon de Dieu. Pierre a eu le courage de revenir vers le Christ ressuscité, il a eu confiance dans la bonté du Maître. Et il a été pardonné.