Le quotidien ZENIT - Le monde vu de Rome publie un entretien avec le P. Alexandre Siniakov sur les relations entre le Saint-Siège et le patriarcat de Moscou.
ZENIT – Père Siniakov, vous publiez en français un livre autobiographique chez Salvator: comment voyez-vous les chemin fait ces dernières années dans le dialogue et les relations entre l’Orthodoxie russe et les papes?
P. Alexandre Siniakov – Le patriarcat de Moscou entretient désormais des relations régulières et sereines avec le Saint-Siège. À l’origine de celles-ci au XXe siècle se trouve notamment Mgr Nicodème Rotov, métropolite de Leningrad, remarquable pasteur orthodoxe et promoteur de l’unité des chrétiens, mort en 1978 en pleine rencontre avec le pape Jean-Paul Ier. Le patriarche Kirill de Moscou se présente comme son disciple. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit le premier patriarche russe à avoir rencontré un pape. Cette rencontre est l’aboutissement d’un cheminement qui a permis aux orthodoxes et aux catholiques de mesurer la gravité de la division des chrétiens pour l’annonce de l’Évangile, surtout devant les défis communs auxquels ils font face aujourd’hui. Elle est aussi le début d’une nouvelle étape qui doit conduire les orthodoxes et les catholiques à porter de nouveau un témoignage unanime de l’avènement du Règne de Dieu.
Quant au livre auquel vous faites référence, il n’est pas tout à fait autobiographique. Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un témoignage personnel de la catholicité de la foi orthodoxe, enraciné dans mon ministère actuel en France et des souvenirs de ma rencontre avec Jésus-Christ dans la Russie encore soviétique.
Comment a été perçue dans le monde orthodoxe la rencontre – par surprise – du patriarche Cyrille et du pape François à Cuba et leur déclaration commune?
Autant que je puisse en juger, pour la plupart des orthodoxes, cette rencontre a été une nouvelle heureuse, attendue depuis des décennies. Il est difficile de comprendre et d’expliquer pour quelle raison deux pasteurs chrétiens, même s’ils ne sont pas en communion eucharistique, ne pourraient pas se rencontrer. Il y a eu pourtant quelques voix orthodoxes qui ont regretté cet événement, soit sur le principe, soit sur la forme. Mais, comme disait saint Paul, « il faut bien qu’il y ait parmi vous des groupes qui s’opposent, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une valeur éprouvée ».
Le pape François insiste aussi sur « l’oecuménisme des martyrs », or l’orthodoxie a eu ses martyrs au XXe s. sous la persécution communiste notamment, la persécution contre les icônes aussi, et au XXIe s. au Moyen Orient sous la persécution islamiste: comment voyez-vous cet « oecuménisme »?
Je crois que la persécution que l’Église russe a affrontée au XXe siècle est à l’origine de sa prise de conscience de la nécessité urgente de retrouver l’unité perdue des chrétiens. Cette urgence, déjà perçue par le concile de Moscou de 1917-1918, a été exprimée d’une manière particulièrement forte par le concile de 2000, ce concile qui a canonisé aussi des milliers de fidèles – laïcs, prêtres, évêques, moines et moniales – martyrisés en URSS. Le martyre que subissent les chrétiens en Irak, en Syrie, en Égypte et dans d’autres pays de cette région tourmentée a hâté la rencontre du pape et du patriarche de Moscou. Ce martyre montre toute l’incohérence de nos querelles et divisions et nous place face à l’essentiel : suivre à tout prix le Christ, en portant sa Croix.
Comment voyez-vous le développement à venir de la « marche ensemble » – encore une expression du pape François – des chrétiens d’Orient et d’Occident, non seulement en Russie mais dans la diaspora? Quels sont les obstacles à surmonter dans la marche vers l’unité?
Bien sûr, le dialogue théologique est nécessaire pour résoudre les difficultés qui subsistent. Mais l’obstacle le plus difficile à surmonter pour retrouver l’unité perdue est l’ignorance. L’ignorance de la tradition apostolique, celle des Pères, du mystère de l’Église, et bien sûr aussi l’ignorance les uns des autres. Il y a également l’indifférence, quand ce n’est pas une franche méfiance, à l’égard de ceux qui confessent Jésus comme le Christ, mais ne font pas partie des mêmes institutions ecclésiales. Nous oublions trop souvent ce que disait saint Paul : « Personne n’est capable de dire : ‘Jésus est Seigneur’ sinon dans l’Esprit Saint ».
La rencontre et l’amitié permettent de dépasser cette barrière psychologique que constitue la crainte de perdre son identité en dialoguant avec l’autre.
Il y a aussi « l’oecuménisme de la charité »: non seulement l’aide mutuelle mais le service ensemble des plus nécessiteux: est-ce cependant réaliste?
Non seulement le service commun des pauvres est réaliste, mais il est indispensable. Quels chrétiens serions-nous si nous n’étions pas capables de servir ensemble ceux qui sont rejetés et méprisés dans le monde ? Des œuvres caritatives communes aux orthodoxes et aux catholiques existent déjà et elles peuvent et doivent se multiplier sans attendre le rétablissement de l’unité canonique ; elles serviront même l’avènement de cette unité.
Le Pape François parle aussi souvent de l’« œcuménisme spirituel ». Comment un tel type d’œcuménisme peut-il se développer entre catholiques et orthodoxes ?
Le prêt des reliques de saint Nicolas en Russie, qui ont attiré près de deux millions et demi de personnes en deux mois, montre que notre patrimoine commun de sainteté est un potentiel immense pour retrouver l’unité. Je me réjouis aussi beaucoup que le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe ait récemment intégré officiellement au calendrier liturgique de nombreux saints occidentaux, comme sainte Geneviève ou saint Patrick. Les saints, déjà unis au ciel, sont nos meilleurs guides et intercesseurs sur le chemin de l’unité.
ZENIT – Père Siniakov, vous publiez en français un livre autobiographique chez Salvator: comment voyez-vous les chemin fait ces dernières années dans le dialogue et les relations entre l’Orthodoxie russe et les papes?
P. Alexandre Siniakov – Le patriarcat de Moscou entretient désormais des relations régulières et sereines avec le Saint-Siège. À l’origine de celles-ci au XXe siècle se trouve notamment Mgr Nicodème Rotov, métropolite de Leningrad, remarquable pasteur orthodoxe et promoteur de l’unité des chrétiens, mort en 1978 en pleine rencontre avec le pape Jean-Paul Ier. Le patriarche Kirill de Moscou se présente comme son disciple. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit le premier patriarche russe à avoir rencontré un pape. Cette rencontre est l’aboutissement d’un cheminement qui a permis aux orthodoxes et aux catholiques de mesurer la gravité de la division des chrétiens pour l’annonce de l’Évangile, surtout devant les défis communs auxquels ils font face aujourd’hui. Elle est aussi le début d’une nouvelle étape qui doit conduire les orthodoxes et les catholiques à porter de nouveau un témoignage unanime de l’avènement du Règne de Dieu.
Quant au livre auquel vous faites référence, il n’est pas tout à fait autobiographique. Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un témoignage personnel de la catholicité de la foi orthodoxe, enraciné dans mon ministère actuel en France et des souvenirs de ma rencontre avec Jésus-Christ dans la Russie encore soviétique.
Comment a été perçue dans le monde orthodoxe la rencontre – par surprise – du patriarche Cyrille et du pape François à Cuba et leur déclaration commune?
Autant que je puisse en juger, pour la plupart des orthodoxes, cette rencontre a été une nouvelle heureuse, attendue depuis des décennies. Il est difficile de comprendre et d’expliquer pour quelle raison deux pasteurs chrétiens, même s’ils ne sont pas en communion eucharistique, ne pourraient pas se rencontrer. Il y a eu pourtant quelques voix orthodoxes qui ont regretté cet événement, soit sur le principe, soit sur la forme. Mais, comme disait saint Paul, « il faut bien qu’il y ait parmi vous des groupes qui s’opposent, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une valeur éprouvée ».
Le pape François insiste aussi sur « l’oecuménisme des martyrs », or l’orthodoxie a eu ses martyrs au XXe s. sous la persécution communiste notamment, la persécution contre les icônes aussi, et au XXIe s. au Moyen Orient sous la persécution islamiste: comment voyez-vous cet « oecuménisme »?
Je crois que la persécution que l’Église russe a affrontée au XXe siècle est à l’origine de sa prise de conscience de la nécessité urgente de retrouver l’unité perdue des chrétiens. Cette urgence, déjà perçue par le concile de Moscou de 1917-1918, a été exprimée d’une manière particulièrement forte par le concile de 2000, ce concile qui a canonisé aussi des milliers de fidèles – laïcs, prêtres, évêques, moines et moniales – martyrisés en URSS. Le martyre que subissent les chrétiens en Irak, en Syrie, en Égypte et dans d’autres pays de cette région tourmentée a hâté la rencontre du pape et du patriarche de Moscou. Ce martyre montre toute l’incohérence de nos querelles et divisions et nous place face à l’essentiel : suivre à tout prix le Christ, en portant sa Croix.
Comment voyez-vous le développement à venir de la « marche ensemble » – encore une expression du pape François – des chrétiens d’Orient et d’Occident, non seulement en Russie mais dans la diaspora? Quels sont les obstacles à surmonter dans la marche vers l’unité?
Bien sûr, le dialogue théologique est nécessaire pour résoudre les difficultés qui subsistent. Mais l’obstacle le plus difficile à surmonter pour retrouver l’unité perdue est l’ignorance. L’ignorance de la tradition apostolique, celle des Pères, du mystère de l’Église, et bien sûr aussi l’ignorance les uns des autres. Il y a également l’indifférence, quand ce n’est pas une franche méfiance, à l’égard de ceux qui confessent Jésus comme le Christ, mais ne font pas partie des mêmes institutions ecclésiales. Nous oublions trop souvent ce que disait saint Paul : « Personne n’est capable de dire : ‘Jésus est Seigneur’ sinon dans l’Esprit Saint ».
La rencontre et l’amitié permettent de dépasser cette barrière psychologique que constitue la crainte de perdre son identité en dialoguant avec l’autre.
Il y a aussi « l’oecuménisme de la charité »: non seulement l’aide mutuelle mais le service ensemble des plus nécessiteux: est-ce cependant réaliste?
Non seulement le service commun des pauvres est réaliste, mais il est indispensable. Quels chrétiens serions-nous si nous n’étions pas capables de servir ensemble ceux qui sont rejetés et méprisés dans le monde ? Des œuvres caritatives communes aux orthodoxes et aux catholiques existent déjà et elles peuvent et doivent se multiplier sans attendre le rétablissement de l’unité canonique ; elles serviront même l’avènement de cette unité.
Le Pape François parle aussi souvent de l’« œcuménisme spirituel ». Comment un tel type d’œcuménisme peut-il se développer entre catholiques et orthodoxes ?
Le prêt des reliques de saint Nicolas en Russie, qui ont attiré près de deux millions et demi de personnes en deux mois, montre que notre patrimoine commun de sainteté est un potentiel immense pour retrouver l’unité. Je me réjouis aussi beaucoup que le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe ait récemment intégré officiellement au calendrier liturgique de nombreux saints occidentaux, comme sainte Geneviève ou saint Patrick. Les saints, déjà unis au ciel, sont nos meilleurs guides et intercesseurs sur le chemin de l’unité.