Chers frères et sœurs, lorsque j’ai commencé la préparation de cette homélie, j’ai jeté un coup d’œil à notre calendrier liturgique et y ai découvert, avec surprise, qu’en plus de saint Jean Climaque, dont la mémoire est associée au quatrième dimanche du Carême, nous célébrons cette année également saint Grégoire le Grand, pape de Rome (+604) et saint Siméon le Nouveau Théologien (+1021). Trois grands docteurs réunis en un seul jour ! J’aurais tellement aimé vous parler de chacun d’eux en particulier, mais me voici contraint à vous proposer un bref et pauvre florilège de l’immense richesse que l’œuvre de chacun de ces trois Pères représente pour l’Eglise.
J’aimerais que nous prenions pour point de départ à notre réflexion un détail de la lecture évangélique de ce jour, sur la guérison du démoniaque épileptique (Mc 9, 17-31). Quand les apôtres interrogent le Seigneur sur la raison de leur impuissance face au démon qui tourmentait l’enfant, il leur répond : « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et le jeûne » (Mc 9, 29). Juste en passant, il faudrait mentionner que certains manuscrits ne parlent ici que de la prière, mais le lectionnaire byzantin, comme la tradition des Pères (notamment saint Basile le Grand), présentent la version que nous venons d’entendre. La prière et le jeûne sont donc les armes qui permettent aux disciples du Christ d’affronter le démon avec succès.
Il n’y a rien à ajouter au fait que la prière est l’arme la plus puissante face aux forces obscures. Parlons donc du jeûne et de son importance dans notre lutte pour notre liberté intérieure face au péché. Ce sujet est cher à saint Jean Climaque et à saint Siméon le Nouveau Théologien. Savez-vous que, pour Jean Climaque, le jeûne et l’abstinence sont la manifestation de notre amour pour Dieu, ce sont les signes certains d’une charité flamboyante et sincère ? Voici ce qu’il dit en décrivant le trentième et dernier degré de son Echelle céleste : « Ceux qui sont parvenus au degré de charité, qui est propre aux anges, oublient jusqu'à la nourriture que réclament les besoins de leur corps, et n'y pensent même pas. Eh ! ne voyons-nous pas souvent que dans le cours des choses purement naturelles, une passion violente est capable de faire perdre la pensée de manger ? Ce que nous avons dit de la charité n’a donc rien d'étonnant ».
Je ne sais pas si quelqu’un d’entre vous, chers frères et sœurs, a déjà été éperdument amoureux. Si c’est le cas, vous savez que l’amour fou nous fait perdre non seulement la raison (parfois !), mais aussi l’appétit. Celui qui est pris d’une passion brûlante peut, comme le dit Jean Climaque, oublier la nourriture. Il est nourri par l’amour qui brûle en lui. Bien sûr, c’est là une image un peu triviale, mais qui renvoie à quelque chose d’extrêmement intéressant. Pourquoi l’homme pourrait-il perdre l’appétit, quand il est envahi par la passion pour une autre personne ou pour une occupation, et que le vrai amour pour Dieu ne lui ferait aucun effet comparable ? Pourquoi celui qui est vraiment et éperdument amoureux de Dieu (je parle ici d’une façon imagée, bien sûr, n’ayant rien d’obscène) ne pourrait-il pas être envahi de ce sentiment au point de perdre le goût des autres choses, notamment de la nourriture, des biens matériels, de la carrière terrestre ? Au contraire, l’amour pour Dieu étant infiniment plus réel que toute passion passagère, ses effets peuvent être éminemment supérieurs à nos autres ardeurs. L’amour de Dieu peut nous dégoûter des plaisirs passagers de la chair, de la nourriture, des ambitions mondaines. En fait, c’est à cela que se mesure la sincérité et la profondeur de cet amour. Voici donc le sens de notre jeûne : ce détachement par rapport à ce qui est périssable doit être la conséquence de notre exaltation par l’amour de Dieu. Mais vous comprenez bien que cela n’est vrai que pour le jeûne au sens propre du terme – autonomie complète par rapport aux besoins naturels, leur oubli, ne serait-ce que pendant un bref délai, et un jeûne volontaire, né de l’amour qui vit en nous ! Cela ne concerne pas la diète ou le régime végétarien que j’apprécie par ailleurs tout à fait, mais pour d’autres raisons.
Le jeûne qui nous permet d’affronter le démon, comme celui dont il est aujourd’hui question dans l’Evangile, c’est le jeûne total qui provient de l’amour fou et absolu de Dieu. Face à cela les démons sont impuissants ! Rien ne tient face à un tel amour : sa flamme consume tout, tout autre désir, tout autre sentiment. Ce jeûne, c’est l’absence d’intérêt pour les choses si corruptibles comme la nourriture, la richesse matérielle, le luxe ; l’amour pour Dieu ne laisse dans l’âme aucune place pour de tels penchants.
Enfin, en conclusion, puis-je m’adresser à vous avec les paroles de saint Siméon le Nouveau Théologien ? « Le jeûne, dit-il, dissipe peu à peu l’obscurité – au sens figuré – et le voile que le péché étend sur l’âme, et il le chasse comme le soleil fait la brume ; le jeûne nous fait voir par l’intelligence l’atmosphère spirituelle dans laquelle se lève et brille sans cesse le soleil sans déclin, le Christ notre Dieu ; le jeûne se faisant seconder par la veille, pénètre et amollit ce qu’il y a de dur dans le cœur, et là où régnaient auparavant les vapeurs du vin, fait jaillir des sources de componction. Tout cela, que par notre effort, je vous en prie, frères, chacun d’entre nous le réalise en lui. Car une fois réalisé, aisément avec l’aide de Dieu nous fendrons jusqu’au bout de la mer des passions, nous franchirons les vagues des épreuves [infligées] par notre cruel tyran et nous aborderons au port de l’impassibilité » (Catéchèse XI).
J’aimerais que nous prenions pour point de départ à notre réflexion un détail de la lecture évangélique de ce jour, sur la guérison du démoniaque épileptique (Mc 9, 17-31). Quand les apôtres interrogent le Seigneur sur la raison de leur impuissance face au démon qui tourmentait l’enfant, il leur répond : « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et le jeûne » (Mc 9, 29). Juste en passant, il faudrait mentionner que certains manuscrits ne parlent ici que de la prière, mais le lectionnaire byzantin, comme la tradition des Pères (notamment saint Basile le Grand), présentent la version que nous venons d’entendre. La prière et le jeûne sont donc les armes qui permettent aux disciples du Christ d’affronter le démon avec succès.
Il n’y a rien à ajouter au fait que la prière est l’arme la plus puissante face aux forces obscures. Parlons donc du jeûne et de son importance dans notre lutte pour notre liberté intérieure face au péché. Ce sujet est cher à saint Jean Climaque et à saint Siméon le Nouveau Théologien. Savez-vous que, pour Jean Climaque, le jeûne et l’abstinence sont la manifestation de notre amour pour Dieu, ce sont les signes certains d’une charité flamboyante et sincère ? Voici ce qu’il dit en décrivant le trentième et dernier degré de son Echelle céleste : « Ceux qui sont parvenus au degré de charité, qui est propre aux anges, oublient jusqu'à la nourriture que réclament les besoins de leur corps, et n'y pensent même pas. Eh ! ne voyons-nous pas souvent que dans le cours des choses purement naturelles, une passion violente est capable de faire perdre la pensée de manger ? Ce que nous avons dit de la charité n’a donc rien d'étonnant ».
Je ne sais pas si quelqu’un d’entre vous, chers frères et sœurs, a déjà été éperdument amoureux. Si c’est le cas, vous savez que l’amour fou nous fait perdre non seulement la raison (parfois !), mais aussi l’appétit. Celui qui est pris d’une passion brûlante peut, comme le dit Jean Climaque, oublier la nourriture. Il est nourri par l’amour qui brûle en lui. Bien sûr, c’est là une image un peu triviale, mais qui renvoie à quelque chose d’extrêmement intéressant. Pourquoi l’homme pourrait-il perdre l’appétit, quand il est envahi par la passion pour une autre personne ou pour une occupation, et que le vrai amour pour Dieu ne lui ferait aucun effet comparable ? Pourquoi celui qui est vraiment et éperdument amoureux de Dieu (je parle ici d’une façon imagée, bien sûr, n’ayant rien d’obscène) ne pourrait-il pas être envahi de ce sentiment au point de perdre le goût des autres choses, notamment de la nourriture, des biens matériels, de la carrière terrestre ? Au contraire, l’amour pour Dieu étant infiniment plus réel que toute passion passagère, ses effets peuvent être éminemment supérieurs à nos autres ardeurs. L’amour de Dieu peut nous dégoûter des plaisirs passagers de la chair, de la nourriture, des ambitions mondaines. En fait, c’est à cela que se mesure la sincérité et la profondeur de cet amour. Voici donc le sens de notre jeûne : ce détachement par rapport à ce qui est périssable doit être la conséquence de notre exaltation par l’amour de Dieu. Mais vous comprenez bien que cela n’est vrai que pour le jeûne au sens propre du terme – autonomie complète par rapport aux besoins naturels, leur oubli, ne serait-ce que pendant un bref délai, et un jeûne volontaire, né de l’amour qui vit en nous ! Cela ne concerne pas la diète ou le régime végétarien que j’apprécie par ailleurs tout à fait, mais pour d’autres raisons.
Le jeûne qui nous permet d’affronter le démon, comme celui dont il est aujourd’hui question dans l’Evangile, c’est le jeûne total qui provient de l’amour fou et absolu de Dieu. Face à cela les démons sont impuissants ! Rien ne tient face à un tel amour : sa flamme consume tout, tout autre désir, tout autre sentiment. Ce jeûne, c’est l’absence d’intérêt pour les choses si corruptibles comme la nourriture, la richesse matérielle, le luxe ; l’amour pour Dieu ne laisse dans l’âme aucune place pour de tels penchants.
Enfin, en conclusion, puis-je m’adresser à vous avec les paroles de saint Siméon le Nouveau Théologien ? « Le jeûne, dit-il, dissipe peu à peu l’obscurité – au sens figuré – et le voile que le péché étend sur l’âme, et il le chasse comme le soleil fait la brume ; le jeûne nous fait voir par l’intelligence l’atmosphère spirituelle dans laquelle se lève et brille sans cesse le soleil sans déclin, le Christ notre Dieu ; le jeûne se faisant seconder par la veille, pénètre et amollit ce qu’il y a de dur dans le cœur, et là où régnaient auparavant les vapeurs du vin, fait jaillir des sources de componction. Tout cela, que par notre effort, je vous en prie, frères, chacun d’entre nous le réalise en lui. Car une fois réalisé, aisément avec l’aide de Dieu nous fendrons jusqu’au bout de la mer des passions, nous franchirons les vagues des épreuves [infligées] par notre cruel tyran et nous aborderons au port de l’impassibilité » (Catéchèse XI).